vendredi 17 août 2012

Ode aux gencives de Porcs.



 Changer de boîte, c’est toujours un peu déroutant surtout quand on est à moitié secouée du bulbe à tulipes et réfractaire à l’échange avec l’humanité, il faut se reprogrammer pour des méthodes de travail nouvelles (voire pour le travail tout court), apprendre le prénom de la standardiste (je connais pas mais elle fait des gâteaux qui butent), s’adapter aux caractères de chacun, aux habitudes, aux dossiers, aux clients, trouver sa place, le chemin le plus court vers les toilettes et la sortie.

Il faut parfois passer de PC à Mac ou de Mac à PC sans poser des questions aussi connes que… « Humm comment on va dans panneau de configuration ? ». Promis j’ai pas demandé. J’ai attendu d’être à la maison pour que monsieur Patate m’explique que bon, sur Mac ça s’appelait pas pareil, et se moque allègrement.

Changer d’entreprise c’est aussi s’acclimater à une nouvelle alimentation sans le panini légumes grillés que l’on mangeait invariablement, Pamela et moi, cinq fois par semaine. J’en ai fait des cauchemars à base d’aubergines qui s’immolaient par barbecue et de tomates qui se noyaient dans l’huile. Mais je vais mieux, merci.

Mon estomac a bien refait des siennes quand je lui ai imposé le croque-monsieur pain Poilâne de la brasserie d’en bas, il ressemblait plus à une pirogue qu’à un plat. J’l’ai fait passer avec des frites maison et du vin. Histoire d’être bien certaine d’être malade.

Il faut aussi cacher que tout ça est très stressant, être cool, souple sur ses genoux, l’Oréal dans ses cheveux et fraîche dès le lundi matin. Et c’est pas évident quand La Chef est plus intuitive qu’un chien d’aveugle et a un scanner d’aéroport à la place du cerveau. Depuis que je bosse là, j’enlève ma ceinture avant d’entrer dans le bureau, j’ai peur qu’elle sonne.
Heureusement, elle utilise à bon escient ce don de seconde vue et m’aide chaque jour à être à l’aise avec elle et les autres. (Quoi, j’ai dit un truc gentil, je file me laver la bouche au savon).
Donc entre les murges régulières qu’on se paye, je suis assez lucide pour me rendre compte que dans l’ensemble c’est studieux mais pas si désagréable que ça.

Malgré tout, y’a des problèmes que tu envisages pas quand tu arrives dans une nouvelle entreprise. Mais vraiment pas.
Pourtant, j’ai connu dans le triste monde tragique de la pub les pires cassos. Je t’en ai raconté deux/trois.

Mais là…
Je sais pas gérer.

Il y a, dans le fond de notre open-space aux couleurs chatoyantes et aux gloussements fréquents, un coin sombre où nous n’allons pas : c’est celui des imprimantes, des armoires à fournitures, des réserves de picole et du bordel qu’on ne range jamais. Je croyais aussi que c’était celui des poubelles, mais nan. Et ma méprise a eu des effets TRÈS TRÈS néfastes.
J’ai appris au bout de quelques jours que c’était aussi là que se trouvait le bureau de celui que nous appellerons Pépé.

Un midi, je déjeunais avec mes collègues le Serpent à Lunettes et le Serpent Chinois : ces femmes à la langue aussi bifide que la mienne et qui me font sentir moins seule brute dans ce monde d’agneaux.
Entre deux méchancetés, j’ai demandé qui était Pépé exactement. Elles ont gloussé et secoué leur petite queue de serpent à sonnettes, et moi j’ai jubilé parce que j’ai la même et j’avais bien envie de frétiller aussi des horribles histoires qu’elles allaient me raconter.
Elles m’ont dit : « Attends on t’a gardé le meilleur pour la fin… Pépé il vit dans un autre monde. Ce type, tu lui donnes un rond à dessiner, il va tellement t’embrouiller la tête qu’à la fin il va te suggérer qu’en fait c’est un carré que tu voulais. Et tu vas passer des HEURES à obtenir ce que tu veux. UN PUTAIN DE ROND. »
J’ai dit « C’est un peu nul comme anecdote ».
Elles ont essayé « Il a fait un gamin à sa belle-mère chilienne après qu’elle a épousé son père pour pouvoir manger ».
J’ai dit « Là… C’est mieux ».
Elles ont agité leurs écailles vertes et ont sifflé : « Mais le meilleur tu le découvriras toute seule ».
Après on a dévoré un agneau vivant, bu un café, rampé jusqu’à nos bureaux et on s’est remise à travailler.

Je me suis dit que pire que se taper sa marâtre, ça semblait un peu compliqué. Je pouvais m’attendre à trouver des cadavres de Dalmatiens dans ses tiroirs, rien de moins. Tonton Freud et sa fille/demi-sœur seraient certainement d’accord avec moi.

J’étais, malgré les risques d’éviscération réels, très curieuse de me confronter à Pépé. Alors je suis allée le voir pour lui donner du boulot. Et quand j’ai vu le bestiau,  je me suis dit : « Bon ok, il est horrible avec ses dents qui jouent à saute-mouton et ses tapis de sol sur les bras, mais c’est pas non plus l’horreur. »
Il m’a dit bonjour et là j’ai compris que j’avais un problème.
Un problème NOUVEAU et GRAVE.

Dès qu’il a ouvert la bouche, j’ai eu l’impression de me retrouver la tête plongée dans la litière d’Hector Lafiotte après un abus de pâté au saumon. C’est comme si on avait vomi un repas à base de thon à l’huile de foie de morue, de choucroute et de jus d’orange Leader Price, et qu’on l’avait laissé sécher au soleil.
J’ai poussé un couinement d’horreur en me souvenant que mes collègues-vipères avaient dit : « des heures pour le moindre dossier… Des heures pour obtenir un putain de ROND et pas un CARRÉ». Autrement dit des heures à respirer dans l’arrière-train d’un phacochère indisposé.

J’allais pas tenir. C’était une évidence. Surtout pas dix minutes après le déjeuner. Sa belle-mère elle devait avoir vraiment peur de rien ou vraiment très faim pour pouvoir encaisser un truc pareil.
J’essayais de ne pas imaginer la scène et déjà il commençait à s’approcher de moi, TOUT PRÈS, pour me demander des renseignements parce que PFIOOOOUUUU c’était pas clair mon truc.
Et puis il a re-soupiré. Et là, tu vois, je me suis dit que visiter les égouts de Paris ou la morgue de Gare d’Austerlitz, je pouvais le faire sans les mains maintenant.
La prochaine autopsie de colon, elle est pour moi les mecs.

Question fondamentale que Socrate ne s’est pas assez posée : comment dire à quelqu’un qu’il sent mauvais de la bouche ?

Frau Ocytocine m’ayant appris à ne jamais dire de méchancetés frontales grâce à son regard qui sous-entendait : « Dis le moindre mot et je te fais ravaler tes ratiches dans l’ordre dans lequel elles sont sorties », il m’est impossible de dire clairement à quelqu’un : « Mon dieu mais tu as mangé ta poubelle de salle de bain ou c’est moi ? »

Parce qu’à ce niveau-là c’est plus un problème de brosse à dents fainéante, là c’est son sani-broyeur interne qui est bouché. Au scanner, tu retrouves obligatoirement des cadavres de souris et une pleine assiette de champignons.

Je pourrais suivre les conseils judicieux de monsieur Patate Frite, lui demander s’il n’est pas déjà mort, mais je ne suis pas sûre qu’il saisirait la subtilité du message. Parce qu’on se demandait quand même comment on pouvait survivre en ayant un système digestif qui fait demi-tour à mi-chemin.

Bien sûr, j’ai essayé la technique du lâche : les mails. Mais il vient à mon bureau pour que je lui explique et se penche sur mon écran pour bien relire les trois lignes que je lui ai écrites.
Alors je me colle au mur et j’attends que ça passe. Ma collègue « Serpent-Chinois » (de loin ma préférée pour sa fourberie digne de ses ancêtres) se marre un peu et puis finit par compatir parce qu’elle n’est pas loin et que bon… Ça a tendance à se diffuser rapidement.

Après qu’il est parti la dernière fois, ma chef a dit « tiens, va bosser sur ce CATALOGUE avec Pépé ». Et moi qui suis un bon petit soldat, je me suis dit que déjà un quatre pages je tombais dans les pommes, alors un pavé d’une centaine de pages… Elle a vite lu dans mes yeux la détresse totale.

Elle m’a dit « bon ok je m’en occupe… Mais tu fais toute ma facturation à la place ».
Je ne pensais pas sauter de joie un jour à l’idée de faire la facturation. Pour moi c était la pire des purges.

Ouais… Un nouveau travail, décidément, ça crée des problèmes, mais aussi des solutions.

10 commentaires:

  1. j'aime TELLEMENT le télétravail...

    RépondreSupprimer
  2. Un récit à perdre haleine : fais-le lire à Pépé.

    RépondreSupprimer
  3. drole drole drole ! j'aime bien le passage de la ceinture !

    RépondreSupprimer
  4. J'ai rigolé bêtement.
    Et pourtant je crois avoir tout vu en tant qu'ex-roliste et ex-chasseur.

    Car entre le gros qui ne s'est lavé qu'à l'avant-première de star wars (il pleuvait) et l'homme des bois qui fait son savon lui-même, il y a quand même du niveau.

    Sven L., je compatis.

    RépondreSupprimer
  5. Putain, mon nouveau job à moi commence demain matin... Maintenant, j'ai peur !

    RépondreSupprimer
  6. bonjour madame O, j'ai eu d'abord un tout petit haut le cœur, mais là j'avoue je suis dégoutée. j'ai même le petit air , la petite moue dégoutée. beurk. je vais lire le post d'avant pour me changer les idées.

    RépondreSupprimer
  7. des tic-tac ? (ça existe encore au fait ? ptet changé de nom, je sais pas trop), des pastilles vichy ? (idem), des chewing gum ? en plus de passer pour "super sympa de proposer des bonbons", tu l'achèveras peut-être s'il est diabétique, on ne sait jamais (double effet kiss cool ! ah ben vi tiens, ceux-là aussi peuvent marcher)

    enfin, l'effet est temporaire, mais le temps de lire un mail ensemble, ptet ça peut atténuer, nan ?

    hmm... ok, "évier/wc bouché depuis 10 ans" + bonbon menthe ou orange, ehm... à tester, quoi... l'aventure, les nouvelles expériences, toussa toussa

    bon courage en tout cas !


    RépondreSupprimer
  8. Tu peux rependre la rumeur que quand les gens n'acceptent pas un bonbon quand ils viennent a ton bureau, tu es tres tres vexe, genre c'est le deshonneur (bien sur seul Pepe sera assez credule). Puis tu fais tout par mail. Oblige de venir te voir, oblige de prendre le bonbon. Ca pourrait meme l'encourage a bosser par mail, vu qu'il est peut-etre allergique aux bonbons. En plus le jour ou il aurait confiance tu peux discretement l'empoisonner aux metaux lourds (faut un chimiste/pharmacien complice par contre).

    Ou aussi, un soir, laisser un dentifrice sur son bureau avec un post-it "Cadeau!"

    J'ai 1000 idees. Et je remercie la providence de travailler dans un recoin de bunker atomique.

    RépondreSupprimer
  9. Effectivement l'idée de Gentil Salaud sur les bonbons est plutôt pas mal. Mais je dirais plutôt des chewing-gums à la chlorophylle, il paraît que c'est le parfum le plus efficace. Tu peux aussi lui faire mâcher du persil, si c'est efficace contre l'odeur d'ail cru ça doit bien l'être pour le reste...
    En principe, c'est aux délégués du personnel et membres du CHSCT de lui faire comprendre que son odeur pose problème, mais peut-être ont-ils échoué, ou peut-être la boîte est-elle trop petite pour que vous en ayez ?

    RépondreSupprimer
  10. fais-lui écouter "attentat 2" de IAM, le passage où ils s'adressent au fameux peintre en exil Stabre, extrait :
    "Bonjour je suis le fameux peintre en exil Stabre
    Moi c'est Chill 25 ans élevé aux pâtes en sauce
    Voici Messire Imhotep, président de notre assoc'
    En deux mots, le boss de la ross et du matos
    Mais dis-moi, tu flingues de l'haleine zé
    Ouvre la bouche et les accords de Genève sont violés
    Ainsi que 20 résolutions sur les armes chimiques
    C'est bien beau d'être artiste, mais la douche ça existe"

    RépondreSupprimer