jeudi 21 février 2013

Mal et Diction.


 Il y a deux malédictions récurrentes dans mon existence.

1/ Je suis l’ange de la mort des agences de pub.
Dans n’importe quelle entreprise où je passe, l’emploi trépasse. Je suis une sorte de mauvais ange envoyé par Pôlemploi pour faire mourir les agences de comm’. Le jour où tu me vois débarquer dans ta boîte, mets ton CV à jour, je t’en conjure.
Le CDI, pour moi, n’est qu’un CDD sans date de fin et sans le montant des indemnités.
La dame du pôle emploi connaît le prénom de mon chat et fait de la musculation avec mon dossier, je récite mon CV les mains jointes dans le dos comme on récite « le lièvre et la tortue » ou « le car scolaire et le pédophile », et je remplis une armoire BESTÅ BURS Ikea avec mes attestations assédics.

2/ Je croise TOUJOURS des gens de manière fortuite dans la rue, le métro, les bars, les chiottes, les villes de l’autre bout de la France et ce, plusieurs fois par mois, voire par semaine dans mes grandes périodes.
Paris est-il si petit ? Ou suis-je fluo ?

En tout cas, il y a toujours ce moment tragique où je farfouille profondément dans ma narine ou que je gratouille un bouton sur mon front et où j’entends mon prénom suivi d’un point d’interrogation.
- Ocytocine ?
- Nan connard, c’est ta mère en bottes de cowboy.
Comme si c’était étonnant de me voir dans le métro… Admettons que c’est parce que j’ai le doigt dans le nez ou le front sanguinolant d’avoir trop bien arraché la protubérance acnéique.

Bon en fait je ne dis pas ça, hein… Je tourne juste la tête, immanquablement dans le mauvais sens, et je dis « gné ? ». N’oublions pas que je suis myope comme un geek. Ça rend le moment encore plus pénible, surtout si on m’alpague du quai d’en face.

Évidemment, ça ne m’arrive jamais quand je suis à mon avantage… Je suis toujours seule, avec un livre, les cheveux fraîchement pas lavés ni coiffés et une mine avenante de pitbull à qui on vient de retirer sa gamelle de croquettes de nourrissons éviscérés.
Et ce n’est jamais un bel éphèbe que je croise (tu me diras : heureusement. Je n’ai pas à rougir de porter un jogging trop grand de deux tailles et des running violettes, comme ça).

Parfois c’est un ex. Toujours avec sa meuf. À croire qu’ils les sortent pisser deux fois par jour. Personnellement j’étais capable d’assurer ma miction seule (c’est pour ça que tu me rappelles tout le temps mec ?).
Étonnamment, je suis toujours irrémédiablement cuite quand je les croise et j’ai une face hilare qui doit leur faire croire que je suis ravie de les voir.
En fait nan. Ça me donne envie de pisser.
Ou alors c’est la bière ?

Le plus souvent, je rencontre des connaissances de connaissances, ou d’anciens camarades de classe dont je suis bien incapable de me souvenir du prénom. Alors t’imagines quand il faut songer à ce qu’on pourrait avoir à se raconter…
- Tu te souviens Madame Martin ?
- Non.
- Moi non plus.
(Plus que quelques secondes avant la prochaine station. Je saute du train, j’m’en fous).

Soit je croise…  Le Vampire. Le Vampire, c’est dans la catégorie connaissance de connaissance et j’ai l’ineffable malheur d’être sa voisine.
Le Vampire, comme son nom l’indique, a un teint de fond de baignoire, un sourire fixe et un regard que je qualifierai de presque concupiscent… mais je pense qu’il n’est pas pourvu d’assez de sang pour porter les hormones masculines lui permettant la lubricité.
Le Vampire serait reconnaissable entre mille si seulement j’avais d’assez bons yeux pour le voir arriver : il a en effet le syndrome dit « du bâton dans le fondement », chaque vertèbre de sa colonne semble soudée à celle du dessus, c’est assez perturbant.
Et surtout, Le Vampire n’a rien à raconter. Normal quand on passe ses nuits à se non-branler et ses journées à se cacher du soleil.
Du coup, quand je le croise, je suis à la torture. Et c’est souvent le matin où déjà, de base, je ne taperais même pas la discute avec mon âme-sœur.
Une fois, j’ai même voulu écourter le trajet en sa compagnie et j’ai dit « je descends à la prochaine », et il a répondu « moi aussi ».
J’ai dû faire semblant de sortir du métro et le reprendre 5 minutes plus tard par une autre entrée, et arriver en retard avec pour seule excuse : j’ai « failé » en essayant de me débarrasser d’un type ni vraiment vivant ni vraiment mort.

Ouais, les fées au-dessus de mon berceau ont dû voter pour ces emmerdes-là. La dernière était dermatologue à ses heures perdues et a décidé que je passerais ma vie à suinter chez ses consœurs.


Tu ne vois pas où je veux en venir avec mes histoires ? Calme-toi jeune brigand, j’y viens. On dirait un adolescent qui découvre pour la première fois qu’il peut dessiner des soleils avec sa peinture intime (poésie de la coquillette tu es de retour…).
Ces deux malédictions mes enfants… et c’est un peu la crotte de nez qui fait déborder le mouchoir (PO-É-SIE)… Là où je veux en venir, c’est que pour la première fois de ma courte mais indéniablement mitigée existence, j’ai tapé un hit-combo de mes deux malédictions.

Si tu te souviens de mes dernières aventures dans le monde du travail, j’avais alors une chef surnommée ’Le Scanner’, sorte de mère-poule avec un troisième œil à qui on ne la faisait pas.
Pas même le PDG qui, incapable de la dompter, a mis au-dessus d’elle dans l’organigramme une nouvelle responsable avec un physique de haricot vert avarié (tant au niveau de la silhouette que du teint), et un nom de poste à coucher dehors.
Son but ultime, hormis d’écouter de la musique et regarder des vidéos sur Youtube (pour le modique salaire de 4 000 boules par mois), était de surveiller et faire virer Le Scanner. Oh le beau métier.
Personnellement, je préfère encore aller nettoyer les chiottes des stations-service avec ma langue, mais tout le monde n’a pas les mêmes problèmes pour se regarder dans une glace.
Et ma foi… Quand on cherche on trouve. Le Scanner a été virée peu avant la fin de mon contrat.

Autant te dire qu’on a fêté ça dignement en se bourrant proprement la gueule au bar du coin. J’ai ensuite titubé jusqu’au métro et appeler ma Sacro-Sainte mère, Frau Ocytocine, pour lui raconter.
J’étais donc dans le métro avec plus de vin blanc que de sang dans les veines.
Tu imagines le volume outrageusement fort auquel je pensais devoir m’astreindre pour me faire entendre de ma mère, et en conséquent par tout le wagon.

Après dix bonnes minutes à pérorer en racontant comment j’allais leur dire d’aller se faire foutre à tous quand ils allaient me demander de rester plus longtemps (chose que PERSONNE ne fait JAMAIS une fois devant le fait accompli), je me suis mise à cracher sur le vilain haricot embauché dans l’unique but de nuire et j’ai dit texto : « Le Haricot , elle ferait mieux d’aller se faire baiser par son père pour régler son complexe œdipien… ».
J’aurais pas pu me contenter d’un « sale conne », naaaaaaaaaan. Trop facile. Pas assez fleuri.
Tu me connais, j’aime bien quand c’est imagé.

Et c’est seulement APRÈS avoir dit ça que je me suis rendue compte que dans l’ensemble j’étais pas la meuf la plus « chatteuse » du monde et qu’un peu de discrétion n’allait pas me tuer.
Donc j’ai eu la bonne idée de me tourner.
Pour voir qu’elle était derrière moi.
Ma supérieure hiérarchique à qui je venais de conseiller de se faire fourrer par son papa était derrière moi.

T’imagines que l’ambiance au travail c’était un peu aussi chaleureux que ton congélateur après ça, et qu’on ne m’a jamais proposé de prolonger mon contrat.
Non, ça n’explique pas mon absence. Mais tu avoueras que ça y contribue.