J’ai
toujours vu le corps médical comme une bande de martiens en blouses blanches
venus étudier le corps humain et son fonctionnement, à la fois si complexe et
si parfaitement crétin. Sous leur enveloppe de chair se cache certainement une
créature bicéphale violette qui trouve ridicule de devoir s’arrêter toutes les
deux heures de faire ce qu’il fait pour pisser/manger/boire/regarder un cul
passer.
Ou alors
comme une secte dont le gourou, avec son sceptre-bistouri, prône l’amour du
paracétamol et du bain de pus.
Dans tous
les cas, le principe même de devenir médecin me semble être un sacerdoce pour
gens n’ayant pas toute leur tête ou toute leur humanité. C’est peut-être parce
que je côtoie uniquement des médecins tarés.
Entre ma
dermatologue qui rêve que je parte enfin dans un pays tropical pour lui ramener
une maladie inconnue à base de vers dévoreurs de couenne (avec la chance que
j’ai, je trempe l’orteil dans le Gange et je deviens le patient zéro de la
peste ocytocinienne. Tant qu’à faire, autant qu’elle porte mon nom)…
… et mon
dentiste secrètement amoureux de mon frère qui considère que :
1/ Une femme
c’est fait pour souffrir : « vous expulsez des enfants, vous
pouvez bien me cracher une dent ».
2/ Une femme
piercée c’est fait pour subir le divin châtiment encore plus que les
autres : « avec toutes les boucles que vous avez aux oreilles, c’pas
une petite anesthésie qui va vous faire peur ». Si on considère qu’une
seringue de 20 centimètres est petite. Effectivement.
3/ « La
peau de votre frère est d’une douceur et d’une fragilité telle que je dois le
garder plus longtemps sur le fauteuil… Il ne se plaint de rien LUI, c’est un
AAAaaaaaAAAaaange. »
… Il y a
aussi mon ORL vietnamien qui est toujours libre parce que personne n’ose
l’appeler pour prendre rendez-vous : « Allô, je voudrais un RDV avec le
docteur Von Truong… Heu nan… Tang Vuong, heu… Heu, bon, passez-moi le docteur
Martin » et qui ressemble comme deux gouttes d’eau à ma mamie viet’.
Il a un
accent de blanchisseur, mais quand il s’agit d’insulter son matériel, son
vocabulaire est digne d’un bon charretier bien de chez nous : « Putain
de bordel à queue, ça pèse un âne mort ! ».
Oui, je
laisse cet homme me racler le fond du tympan et comme ça je ne rate pas une
miette de son langage fleuri. Même lorsqu’il me dit que y’aurait de quoi
illuminer le palais de Versailles avec ce qu’il y trouve.
Mais de
tous, celui que je préfère, c’est ma généraliste.
Attention
tonton Freud, prends ton Bic quatre couleurs et note qu’elle s’appelle comme ma
maman, et qu’en soi c’est une bénédiction des dieux que de s’appeler comme
sainte Frau O.
Cette femme
me suit depuis mon adolescence ombrageuse et je ne l’ai pas vue vieillir, en
effet, elle ne fait que sécher sur pied. Je pense que d’ici 40 ans je la
retrouverai dans la section égyptienne du musée du Louvres.
C’est le
stéréotype de la vieille fille maigrichonne et pas jolie qui ne porte que des
chaussures anti-sudation et des jupes mi mollets. Elle n’a que deux
gilets : un mauve (anciennement violet foncé) et un taupe (anciennement
chocolat il me semble), en laine bouillie, of course.
Ces goûts
vestimentaires valent ses goûts musicaux. Un fois, mon père est rentré à la
maison dans un état de choc terrible, dans le cadre de son travail il a fait
une réunion avec elle qu’elle a conclue par un morceau d’accordéon, son
passe-temps sur les trois petites heures de loisirs qu’il doit lui rester par
semaine en dehors de son cabinet.
Bref, c’est
ma martienne préférée et c’est pas pour son physique. Quoique. Le jour où elle
a mis une paire de boucles d’oreilles, j’ai été plus choquée que si elle
m’avait reçue en jarretelles avec un fume-cigarette dans le cul.
Cette ode à
la féminité m’a rappelé son statut d’humain, et pas seulement de docteur.
C’était presque aussi obscène que croiser son maître hors des cours quand on
est en primaire, on croit qu’il vit dans la classe et on ne peut pas admettre
qu’à côté il ait une vie où il va à Leclerc acheter des cornichons doux avec
20% de produit offert.
Elle fait
partie de ces médecins où tu irais comme tu irais faire du shopping :
« il vous faut autre chose ? Paracétamol ? Doliprane ? Courgettes,
mou pour le chat ? », et elle sort même cette phrase que toute
fille normalement inhibée du frifri a envie d’entendre, et rien que pour ça je
ferais Paris-Marseille pour la voir elle et pas une autre : « bon,
je vous mets un an de prescription de pilule, comme ça vous serez tranquille ».
Il est possible que je lui aie dit une ou deux fois que je l’aimais.
Elle croit
aussi en l’auto-évaluation des besoins d’arrêts maladies et souvent les
rendez-vous se transforment en négociations, dont je sors toujours perdante.
-
Je vous arrête combien de temps ?
- - Heu… Jusqu’à vendredi ? Genre 3 jours ?
- - Moi j’vous aurais mis deux semaines… Mais va
pour 3 jours si vous sentez que ça suffit !
- - Eh merde…
Cette
fois-là j’y allais pour faire mon certificat médical pour le sport. Un mois
après voir repris. Pour être bien BIEN sûre que si j’avais dû faire une crise
cardiaque, elle serait déjà faite. Je vis dangereusement moi.
Et encore
une fois je suis surprise qu’elle ne s’offusque jamais de rien qui sorte de ma
bouche, voire elle semble goûter mon humour.
-
64, c’est bien c’est un cœur de sportif…
-
Nan c’est un cœur de mégère qui ne s’en sert
pas beaucoup.
-
Hihihi pas d’amoureux en vue ?
-
Si, mais c’est le seul pour qui il sert. Pour
le reste je préfère user de la bile.
-
Bon bah vous reviendrez me voir quand vous
aurez un ulcère, hihihihi.
Cette bonne
humeur permanente alors qu’elle vit au milieu des mouchoirs sales et des
diarrhées aigües reste pour moi un mystère… comme est pour elle un mystère le
comment on attache mes chaussures.
Elle croit
aussi à fond aux bienfaits de l’homéopathie et me conseille régulièrement des
cures que même un diplômé de polytechnique ne pourrait pas suivre : « alors
celui-là tous les 6 jours et ça 2 fois par semaine. Celui-ci… Disons toutes les
deux semaines et enfin ça... Et benh une prise maintenant et la prochaine dans
six mois ». Elle semble très satisfaite de son bousin jusqu’à ce
qu’elle remarque mon regard torve de fille qui se nourrit à l’huile de palme et
aux colorants alimentaires et ajoute « oui bon peut-être qu’il vaut mieux le
noter sur un calendrier… pour pas oublier ça serait plus simple ».
Ça fait
quinze ans que personnellement je trouve plus simple de ne pas faire ses cures.
Mais elle met tellement de bonne volonté que je lui laisse me prescrire ses
petites gélules que je n’achète jamais.
Malgré son
amour des médecines parallèles et de l’accordéon, elle est hyper stressée et
plusieurs fois elle a été à deux doigts de tomber de sa chaise à force de faire
des petits bonds.
Une fois
elle a même jeté mon vaccin à travers la pièce, un mouvement nerveux
qu’elle-même n’a pas vu venir, la seringue s’est fichée dans le lino de son
cabinet, à quelques centimètres de mon pied. Elle aurait aussi bien pu me la
planter dans l’œil. Elle m’a envoyée acheter un autre vaccin et cette fois, elle
l’a fait tomber sur le pèse-bébé.
J’ai dit que
je reviendrais un autre jour.
Je ne suis
pas revenue et le vaccin pourrit dans une mare d’huile de poivrons confits
depuis deux ans.
Malgré ça,
je lui porte une confiance aveugle à elle et au troisième œil que sa vilaine
frange beigeasse et sèche cache. En me tendant mon certificat médical qui me
permettait enfin de suer sans risquer la rupture d’anévrisme, elle a hésité et
puis elle a dit :
-
Votre maman m’ a dit… (Ma mère dit TOUT à
tout le monde, la coiffeuse, ses collègues, les médecins, la sainte-vierge
savent avant Maîtresse Gamelle ce qui m’arrive, et notez bien qu’ils doivent
s’en foutre comme de leur première grenouillère à motifs) Votre maman m’a
dit que vous aviez eu l’appendicite et une double otite et aussi que vous aviez
perdu votre travail… Ça fait beaucoup.
-
Ah oui j’vous confirme c’est pas mon année…
-
Hum… J’vais vous mettre une petite
prescription de vitamines D ça va vous requinquer !
Pour ma
martienne championne de l’homéopathie, aucune déprime ne résiste à une bonne
piquouse de vitamines D dans le fion… On a enfin compris comment combler le
déficit de la sécu, là, nan ?
-
Ahahaha oui si vous voulez… Ça me filera pas
un CDI et ça nous rendra pas le Congo, comme disent les Belges…
-
Et une petite prescription de 6 mois de
pilule, hein ?
-
(Mes yeux se sont embués de larmes) Oh…
-
Renouvelable 6 MOIS !
-
Docteur, je t’aime.
hoooo j'suis grave jalouse de ta toubib ! j'en veux une comme ça ! j'ai eu le modèle un peu plus jeune en province y a loooooongtemps, mais j'en n'ai jamais retrouvé depuis que je suis près de Paris.
RépondreSupprimerla mienne (un peu moins cata que la précédente que j'ai lachée apres 2 engueulades) est quelquefois un chouia autoritaire, voire a (parfois ? avec moi ?) quelques soucis avec le pouvoir... et s'étonne chaque fois que je semble me connaitre (coté santé) mieux (depuis presque 50 ans que je me côtoie !) qu'elle, que je ne vois que depuis un peu plus d'un an... ça commence déja à crisouiller...
j'peux etre sympa et tout, mais quand y s'agit de ma santé, j'ai un peu de mal à dire "amen" à des trucs idiots ("z'avez un peu trop de tension, faut prendre le médoc qui va vous donner la pêche d'un macaroni cuit mais que le cardio (de m..., vu une fois, pas deux) vous a prescrit"... hem) sur lesquels elle bloque bêtement. alors que sur d'autres trucs, elle assure plutot, ça va. ce qui fait que je la supporte... pour le moment... va pas durer, je le sens...
Attends, moi aussi j'ai d'excellents conseils à te donner ! Par exemple, l'huile de foie de morue, c'est tout plein de vitamine D. Et si jamais tu fais ta chochotte du palais, tu peux aussi partir au soleil...
RépondreSupprimer(Par contre je serais toi, je changerais de dentiste)
C'est aussi plein de vitamine A qui en grande quantité nuit à l'action de la vitamine D.
Supprimerhéhé je mesure ce dont je me prive en n'ayant pas vu un médecin depuis 25 ans :)
RépondreSupprimerHaha ! voir son instit en-dehors de l'école... En fait pour moi c'était quand même assez courant, en plus elle avait son jardin juste à côté de la cour de l'école et son logement au-dessus des salles de classes, donc on savait bien qu'elle avait une vie. Mais j'ai immédiatement pensé à la nounou de mon fils qui m'a dit récemment "aujourd'hui je les (elle en garde 4) ai fait manger plus tôt, ils ont été rapides, du coup j'ai mangé avant de les coucher. C'était la première fois qu'ils me voyaient faire, ils avaient l'air étonnés."
RépondreSupprimerJe ne sais pas définir comment je me sens en voyant que tu demandes un arrêt de travail de trois jours. Juste le temps de ne pas être payée, c'est idiot non ? Ma généraliste demande plutôt -et assez rarement, elle sait comme ces jours de carence pénalisent la plupart de ses patients- si elle m'en fait un, mais elle ne m'a jamais proposé moins d'une semaine. Mais la seule fois où elle me l'a rédigé, et d'office, ce n'était pas pour ma maladie, mais pour celle de mon fils. Et là, on n'a droit qu'à 3 jours, non rémunérés. Du coup j'ai préféré poser mes RTT...
RépondreSupprimerLes "nouveaux" internes arrivent dans 4 jours (top chrono ...).
RépondreSupprimerJe t'en mets quelques-uns de coté si ta généraliste te déçois.
... de rien, c'est cadeau :-)
Amicalement,
Kébra
_Déçoit_
SupprimerDésolé, pas relu ...
Aha Frau O. qui raconte ta vie à tout le monde, j'ai le même modèle à la maison, et je compatis! Sinon la prescription de un an de pilule, GG!
RépondreSupprimerTu me manques, O.
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