samedi 31 mars 2012

Le repas du condamné.



Depuis l’annonce de ma nomination aux Oscars de la précarité, tout le monde m’invite au resto pour un déjeuner d’adieux en bonne et due forme.
Si vous voyez à une terrasse boulonnaise une fille avec des Ray Ban violettes de pilote de course italien, le nez violet de trop d’heures passées à picoler du rosé au soleil et qui hausse les épaules à chaque fois qu’elle regarde l’heure : c’est moi. Venez taper le bisou, ça me fera plaisir.

Sur ce qui motive des gens qui me côtoient de loin depuis quatre ans à vouloir d’un seul coup me nourrir, j’hésite entre la compassion et la curiosité malsaine de ceux qui « restent en rang » dans l’entreprise. Pardon pour le mauvais jeu de mots mais ça me semblait tomber à point nommé.

Allez, je suis certainement mauvaise langue, c’est l’instinct maternel qui parle et la sacro-sainte tradition française qui veut que l’on règle tout autour d’une assiette : les affaires, les premiers rendez-vous et les retrouvailles entre amis.

C’est Beigbeder, mon ex-collègue de bureau, qui s’interrogeait sur les premiers rendez-vous qui se passaient presque toujours au restaurant dans son très torchonneux « Mémoire d’un jeune homme dérangé », et qui, en termes de premiers souvenirs aux chandelles, étaient souvent gastriques.
Un présage de comment on se fera chier plus tard, en gros.
Loin de moi l’idée de le paraphraser, déjà parce que dans son livre y’a pas assez de mots pour ça (lu en une demi-heure sous une table de la Fnac en attendant monsieur Patate Frite, qui hésitait entre deux vinyles qui se ressemblaient autant que deux débardeurs noirs).

En tout cas, je ne vais pas me plaindre, j’économise mes derniers tickets resto.

Du coup, j’ai l’impression que les seules choses que je vais avoir à raconter, c’est une succession de plats colorés et de desserts coupablement engloutis, parfois remplacés par le non moins calorique « café gourmand », qui n’allège jamais que la conscience et certainement pas le tour de fesses.

Cette période d’euphorie alimentaire se solderait certainement par un hurlement déchirant sur la balance, si seulement je montais dessus. Heureusement, je ne m’approche jamais à plus de 2 mètres de cet objet du diable, je préfère encore repasser les maths du bac plutôt que regarder les chiffres qui s’affichent sur cet outil de torture pour européennes dodues et bien nourries.

Mais en vrai, je passe ma vie au resto. Je m’en rends bien compte, je m’étonne même que mon assiette ne prenne pas plus de place ici. Dukan avec moi, il se suicide en avalant tout rond Lagerfeld (mon plus gros fantasme après mon mariage avec Ronan Keating des Boyzone) parce que faut se rendre à l’évidence, dans ma vie sociale, le resto est maître.

C’est là-bas que je retrouve mon armée de copines plus ou moins maniaco-dépressives, ça va de l’éditrice qui range sa cave en ordre alphabétique à la coiffeuse aux cheveux roses qui demande quand est-ce qu’elle couchera enfin avec mon mec.
Les murs des restaurants ont tout entendu, même le jour où on se parlait de fantasmes avec deux d’entre elles. Les murs n’ont pas été les seuls à rougir, le mec à côté a dû passer son repas romantique avec sa demoiselle à cacher les émois que nos paroles provoquaient dans son slip.
On remercie mademoiselle Gamelle pour sa version tout à fait nouvelle de « l’amour est dans le pré », on ne savait pas les tracteurs si coquins.

On applaudit encore une fois maîtresse Gamelle pour sa capacité à faire vomir sa panna cota à la voisine de droite en moins de dix minutes de monologue sur un cerveau explosé suivi d’un très bel exposé sur la gangrène.

Maîtresse Gamelle, parlons-en.
Pour ceux qui n’étaient pas là avant, c’est uniquement une de mes copines « àlavieàlamort-tupassesavantmoiauxsoldesjemedévoue» qui me fait des paupiettes quand je me fais larguer et avec qui je fais les 400 boutiques coups, et commente ses 40 coupes de cheveux (dont 39 prétendument ratées).

Avec elle, on se voit une fois par semaine environ dans notre cantine coréenne d’Opéra dont on sort gavées et fleurant bon la friture aux crevettes. C’est pas qu’on soit pétries d’habitudes (en tout cas moi non. Elle par contre, c’est un cheval de trait, fais lui changer de parcours et elle te fait une descente d’organes), c’est surtout que le resto avec maîtresse Gamelle ça peut être une bonne raison de s’engueuler à mort.

Parce que figure-toi que maîtresse Gamelle elle sait jamais ce qu’elle va prendre, la moindre nouvelle carte, le moindre changement dans le menu la fout dans une angoisse pas possible.
À chaque fois sa réaction est la même : elle veut ESSAYER. Un truc. De préférence un truc qu’elle ne mange jamais. Ce qui est parfaitement crétin quand on sait qu’elle n’aime pas grand-chose donc qu’il y a une forte probabilité qu’elle ne touche pas à son plat.
Moi au contraire je suis une cocue du choix, quoi que je choisisse c’est toujours ce qu’il fallait prendre. Dans une autre vie, j’ai dû être la femme d’un grand chef cuistot qui se tapait la saucière, j’vois que ça.

Du coup son plat arrive, mon plat arrive : elle regarde mon plat, elle regarde le sien et puis à nouveau elle regarde mon assiette et la fixe avec des yeux de chiot qui voudrait piquer son os à un doberman.
Ses mirettes s’embuent et à peine ai-je soupiré : « si tu veux on échang… » que déjà elle a pris mon écuelle et a fait glisser la sienne vers moi. Résultat, j’me tape ses poissons à la con pendant qu’elle mange mon confit de canard.

Je te parle même pas du dessert. Partager un dessert, une glace tout particulièrement, avec elle c’est une tentative de suicide. Je mets au défi n’importe quel bûcheron d’essayer de prendre une cuillère de trop dans le filon de caramel de sa glace vanille sans se faire crever un œil à coups de cuillère. Par contre, si par malheur tu tournes la tête parce qu’un serveur a cassé un verre, benh tu peux être sûr que ta boule vanille elle l’a gobée.
J’me suis toujours dit que dans son autre vie à elle, elle a fait pute de luxe. En plus c’est la seule fille du monde à courir après le tram en talons aiguilles, si ça c’est pas une preuve.
Bref, maintenant c’est CORÉEN, sans confit et sans glace.

Et sinon j’ai une grande spécialité, je suis toujours à côté du couple qui se sépare ou qui s’engueule.
J’me demande comment on peut se dire qu’on va se séparer autour d’une assiette de nouilles ; moi j’aurais tendance à faire de mon plat du potage à force de chialer. Oui, parce que même quand c’est moi qui largue, je chiale, c’est par principe. Ça ne m’empêche pas d’aller boire des verres dix minutes après, hein, mais sur le coup, une petite larmichette ça peut pas faire de mal et ça t’évite de trop te faire insulter.

Une fois il y a un mec qui s’est fait dégager par sa nana un dimanche soir au Mac Do de la Motte-Piquet-Grenelle. Si tu m’entends mec, sache que je compatis devant le tsunami de lose que tu as vécu ce jour-là. Tu es mon « Nuggets d’or 2011 ». Monsieur Patate Frite a failli te faire un câlin quand la nana t’a dit « putain mais ça va, tu bandes même pas alors laisse-moi finir mes frites ».
Le mec, qui buvait sa fontaine de honte, s’est levé en disant « … Ouais et benh salut connasse », et il s’est barré comme dans les séries américaines. Ç’aurait pu être un peu classe s’il n’était pas revenu deux secondes plus tard en disant qu’il avait oublié sa veste et s’il avait pas fait à moitié tomber la chaise en la récupérant.
Là, c’est moi qui ai failli le prendre dans mes bras en disant « rassure-toi, je suis la seule avec tout le Mac Do blindé à avoir vu ».

Pourquoi je te raconte ça, moi ? Aucune idée, juste que j’arrête pas de m’empiffrer pour le compte de mes bientôt ex-collègues qui se demandent ce que c’est que d’être viré.

Et une fois rentrée au bureau, je regarde ma binôme pas virée se débattre avec du travail pour deux en digérant gentiment mon carpaccio. Figure-toi que dans son grand talent de gestionnaire, mon chef vire 30% du personnel au moment même où on a enfin du travail. Elle est pas belle l’entreprise, ils sont pas éclairés nos gestionnaires ? Moi je leur lève mon verre.

J’me dis que la disette est peut-être bientôt venue, mais que mes pâtes au rien je les digérerai avec un estomac « ulcère-free ».

Allez, j’ai terrasse.

7 commentaires:

  1. Maîtresse Gamelle31 mars 2012 à 05:46

    Un seul mot : Calomnie ! (sauf pour le tram, enculé de sa race de sous métro aérien, qui nous a pas attendu alors que je frôlais le record mondial de 100m haies en talons aiguilles).

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  2. Non maitresse Gamelle : Calories !
    Du reste; bon appétit.



    Sven L.

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    1. Maîtresse Gamelle3 avril 2012 à 06:50

      Ah oui, calories ! Pardon, j'ai rippé huhu

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  3. Le "Nuggets d'Or" a failli avoir raison de ma vessie.
    Bah, sinon, quand l'appétit va tout va, il parait...

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  4. Ronan Keating vient de divorcer, en passant.

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  5. SERIEUX? reste plus que Lagarfeld redevienne gros et Dukan fasse une occlusion intestinale et tous mes voeux seraient exaucés!

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  6. Dès qu'on parle de bouffe, ya plus personne.
    C'est bien la preuve que ton blog est rempli d'anorexique, non ? ^^



    Sven, fat geek

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