Depuis
l’annonce de ma nomination aux Oscars de la précarité, tout le monde m’invite
au resto pour un déjeuner d’adieux en bonne et due forme.
Si vous
voyez à une terrasse boulonnaise une fille avec des Ray Ban violettes de pilote
de course italien, le nez violet de trop d’heures passées à picoler du rosé au
soleil et qui hausse les épaules à chaque fois qu’elle regarde l’heure :
c’est moi. Venez taper le bisou, ça me fera plaisir.
Sur ce qui
motive des gens qui me côtoient de loin depuis quatre ans à vouloir d’un seul
coup me nourrir, j’hésite entre la compassion et la curiosité malsaine de ceux
qui « restent en rang » dans l’entreprise. Pardon pour le mauvais jeu
de mots mais ça me semblait tomber à point nommé.
Allez, je
suis certainement mauvaise langue, c’est l’instinct maternel qui parle et la
sacro-sainte tradition française qui veut que l’on règle tout autour d’une
assiette : les affaires, les premiers rendez-vous et les retrouvailles
entre amis.
C’est
Beigbeder, mon ex-collègue de bureau, qui s’interrogeait sur les premiers
rendez-vous qui se passaient presque toujours au restaurant dans son très
torchonneux « Mémoire d’un jeune homme dérangé », et qui, en termes de premiers
souvenirs aux chandelles, étaient souvent gastriques.
Un présage
de comment on se fera chier plus tard, en gros.
Loin de moi
l’idée de le paraphraser, déjà parce que dans son livre y’a pas assez de mots
pour ça (lu en une demi-heure sous une table de la Fnac en attendant monsieur
Patate Frite, qui hésitait entre deux vinyles qui se ressemblaient autant que
deux débardeurs noirs).
En tout cas,
je ne vais pas me plaindre, j’économise mes derniers tickets resto.
Du coup,
j’ai l’impression que les seules choses que je vais avoir à raconter, c’est une
succession de plats colorés et de desserts coupablement engloutis, parfois
remplacés par le non moins calorique « café gourmand », qui n’allège
jamais que la conscience et certainement pas le tour de fesses.
Cette
période d’euphorie alimentaire se solderait certainement par un hurlement déchirant
sur la balance, si seulement je montais dessus. Heureusement, je ne m’approche
jamais à plus de 2 mètres de cet objet du diable, je préfère encore repasser
les maths du bac plutôt que regarder les chiffres qui s’affichent sur cet outil
de torture pour européennes dodues et bien nourries.
Mais en vrai,
je passe ma vie au resto. Je m’en rends bien compte, je m’étonne même que mon
assiette ne prenne pas plus de place ici. Dukan avec moi, il se suicide en
avalant tout rond Lagerfeld (mon plus gros fantasme après mon mariage avec
Ronan Keating des Boyzone) parce que faut se rendre à l’évidence, dans ma vie
sociale, le resto est maître.
C’est là-bas
que je retrouve mon armée de copines plus ou moins maniaco-dépressives, ça va de
l’éditrice qui range sa cave en ordre alphabétique à la coiffeuse aux cheveux
roses qui demande quand est-ce qu’elle couchera enfin avec mon mec.
Les murs des
restaurants ont tout entendu, même le jour où on se parlait de fantasmes avec
deux d’entre elles. Les murs n’ont pas été les seuls à rougir, le mec à côté a
dû passer son repas romantique avec sa demoiselle à cacher les émois que nos
paroles provoquaient dans son slip.
On remercie
mademoiselle Gamelle pour sa version tout à fait nouvelle de « l’amour est
dans le pré », on ne savait pas les tracteurs si coquins.
On applaudit
encore une fois maîtresse Gamelle pour sa capacité à faire vomir sa panna cota
à la voisine de droite en moins de dix minutes de monologue sur un cerveau
explosé suivi d’un très bel exposé sur la gangrène.
Maîtresse
Gamelle, parlons-en.
Pour ceux
qui n’étaient pas là avant, c’est uniquement une de mes copines « àlavieàlamort-tupassesavantmoiauxsoldesjemedévoue»
qui me fait des paupiettes quand je me fais larguer et avec qui je fais les 400
boutiques coups, et commente ses 40 coupes de cheveux (dont 39
prétendument ratées).
Avec elle, on
se voit une fois par semaine environ dans notre cantine coréenne d’Opéra dont
on sort gavées et fleurant bon la friture aux crevettes. C’est pas qu’on soit
pétries d’habitudes (en tout cas moi non. Elle par contre, c’est un cheval de
trait, fais lui changer de parcours et elle te fait une descente d’organes),
c’est surtout que le resto avec maîtresse Gamelle ça peut être une bonne raison
de s’engueuler à mort.
Parce que
figure-toi que maîtresse Gamelle elle sait jamais ce qu’elle va prendre, la
moindre nouvelle carte, le moindre changement dans le menu la fout dans une
angoisse pas possible.
À chaque fois sa réaction est la
même : elle veut ESSAYER. Un truc. De préférence un truc qu’elle ne mange
jamais. Ce qui est parfaitement crétin quand on sait qu’elle n’aime pas
grand-chose donc qu’il y a une forte probabilité qu’elle ne touche pas à son
plat.
Moi au
contraire je suis une cocue du choix, quoi que je choisisse c’est toujours ce
qu’il fallait prendre. Dans une autre vie, j’ai dû être la femme d’un grand
chef cuistot qui se tapait la saucière, j’vois que ça.
Du coup son
plat arrive, mon plat arrive : elle regarde mon plat, elle regarde le sien
et puis à nouveau elle regarde mon assiette et la fixe avec des yeux de chiot
qui voudrait piquer son os à un doberman.
Ses mirettes
s’embuent et à peine ai-je soupiré : « si
tu veux on échang… » que déjà elle a pris mon écuelle et a fait
glisser la sienne vers moi. Résultat, j’me tape ses poissons à la con pendant
qu’elle mange mon confit de canard.
Je te parle
même pas du dessert. Partager un dessert, une glace tout particulièrement, avec
elle c’est une tentative de suicide. Je mets au défi n’importe quel bûcheron
d’essayer de prendre une cuillère de trop dans le filon de caramel de sa glace
vanille sans se faire crever un œil à coups de cuillère. Par contre, si par
malheur tu tournes la tête parce qu’un serveur a cassé un verre, benh tu peux
être sûr que ta boule vanille elle l’a gobée.
J’me suis
toujours dit que dans son autre vie à elle, elle a fait pute de luxe. En plus
c’est la seule fille du monde à courir après le tram en talons aiguilles, si ça
c’est pas une preuve.
Bref,
maintenant c’est CORÉEN, sans
confit et sans glace.
Et sinon j’ai
une grande spécialité, je suis toujours à côté du couple qui se sépare ou qui
s’engueule.
J’me demande
comment on peut se dire qu’on va se séparer autour d’une assiette de
nouilles ; moi j’aurais tendance à faire de mon plat du potage à force de
chialer. Oui, parce que même quand c’est moi qui largue, je chiale, c’est par
principe. Ça ne m’empêche pas
d’aller boire des verres dix minutes après, hein, mais sur le coup, une petite
larmichette ça peut pas faire de mal et ça t’évite de trop te faire insulter.
Une fois il
y a un mec qui s’est fait dégager par sa nana un dimanche soir au Mac Do de la
Motte-Piquet-Grenelle. Si tu m’entends mec, sache que je compatis devant le
tsunami de lose que tu as vécu ce jour-là. Tu es mon « Nuggets d’or
2011 ». Monsieur Patate Frite a failli te faire un câlin quand la nana t’a
dit « putain mais ça va, tu bandes même
pas alors laisse-moi finir mes frites ».
Le mec, qui
buvait sa fontaine de honte, s’est levé en disant « … Ouais et benh salut connasse », et il s’est barré comme dans
les séries américaines. Ç’aurait
pu être un peu classe s’il n’était pas revenu deux secondes plus tard en disant
qu’il avait oublié sa veste et s’il avait pas fait à moitié tomber la chaise en
la récupérant.
Là, c’est
moi qui ai failli le prendre dans mes bras en disant « rassure-toi, je suis la seule avec tout
le Mac Do blindé à avoir vu ».
Pourquoi je
te raconte ça, moi ? Aucune idée, juste que j’arrête pas de m’empiffrer
pour le compte de mes bientôt ex-collègues qui se demandent ce que c’est que
d’être viré.
Et une fois
rentrée au bureau, je regarde ma binôme pas virée se débattre avec du travail
pour deux en digérant gentiment mon carpaccio. Figure-toi que dans son grand
talent de gestionnaire, mon chef vire 30% du personnel au moment même où on a enfin
du travail. Elle est pas belle l’entreprise, ils sont pas éclairés nos
gestionnaires ? Moi je leur lève mon verre.
J’me dis que
la disette est peut-être bientôt venue, mais que mes pâtes au rien je les digérerai
avec un estomac « ulcère-free ».
Allez, j’ai
terrasse.
Un seul mot : Calomnie ! (sauf pour le tram, enculé de sa race de sous métro aérien, qui nous a pas attendu alors que je frôlais le record mondial de 100m haies en talons aiguilles).
RépondreSupprimerNon maitresse Gamelle : Calories !
RépondreSupprimerDu reste; bon appétit.
Sven L.
Ah oui, calories ! Pardon, j'ai rippé huhu
SupprimerLe "Nuggets d'Or" a failli avoir raison de ma vessie.
RépondreSupprimerBah, sinon, quand l'appétit va tout va, il parait...
Ronan Keating vient de divorcer, en passant.
RépondreSupprimerSERIEUX? reste plus que Lagarfeld redevienne gros et Dukan fasse une occlusion intestinale et tous mes voeux seraient exaucés!
RépondreSupprimerDès qu'on parle de bouffe, ya plus personne.
RépondreSupprimerC'est bien la preuve que ton blog est rempli d'anorexique, non ? ^^
Sven, fat geek