[Oui je continue sur ma lancée « Ocytocine
et le dur labeur », ‘scuze-moi si en ce moment y’a que ça à te raconter.
C’est ça ou mes histoires de vestiaires de
sport qui puent des pieds, comment je fais chialer le rameur et comment je
découvre que mon nombril ne doit pas fatalement dîner en tête à tête avec mon
pubis.
Là je le relis mon article, que tu vas
découvrir avec un petit frisson d’amour (ou alors c’est la clim ?), et je
me dis qu’à l’extérieur je suis tankée comme un camion en ce moment, mais qu’à
l’intérieur je suis un pot de vinaigre… huhuhu.
Dites-moi si c’est pas drôle, moi je trouve
que si, mais en même temps je trouve que l’échange que j’ai eu hier avec
monsieur Patate était drôle alors bon... C’est relatif, jugez plutôt :
MOI : P’tain ça pue, c’est quoi ?
MONSIEUR PF : Nan mais c’est moi, j’ai
marché sur un pigeon mort en sortant du bar.
Je t’avais dit, l’humour c’est relatif,
surtout qu’il avait VRAIMENT marché sur un pigeon mort.
Bref, on passe à l’article ou on s’enc… s’embrasse ?]
Cher
monsieur le recruteur,
Je m’appelle
Ocytocine et telle que tu me vois aujourd’hui, je ne suis pas du tout moi-même.
D’abord j’ai
tapé un haut à ma mère, un truc rose pastel avec des perles, un truc très
féminin qui en temps normal n’aurait même pas bougé du portant de la boutique,
j’ai un maquillage si léger qu’on pourrait croire que je n’ai jamais mis les
pieds ailleurs que chez Yves Rocher ou au rayon beauté du supermarché.
Et puis je
me suis bien coiffée, rectification : je me suis coiffée, crois-moi, ça
n’arrive pas souvent, je brosse plus souvent le chat que mes crins de chevaux. C’est
pour ne pas que tu voies trop vite mes multiples mutilations corporelles, les
tringles à rideaux qui me servent d’oreilles et mes relents de vieille gothasse.
Je ressemble
à moi mais passée à la machine à laver et tirée à quatre épingles, je ressemble
à moi en chiant, à moi dans dix ans, certainement.
Je souris,
je réponds à tes questions, l’air un peu craintif, mais ma modestie et ma
timidité sont mal imitées. Je joue comme une actrice de « Plus Belle La Vie »,
heureusement que tu te gaves à la boîte à images dès 20h venues, sinon tu
aurais assez de jugeote pour voir la supercherie.
Tu
n’imagines pas une seconde que je me fous de ta gueule très très fort et de ces
poils pas très catholiques qui te sortent des narines. Tu ne me plais pas,
rassure-toi, c’est le cas de beaucoup de monde. Je suis prompte à « bitcher »,
c’est mon talent, tu crois que j’aurais dû le marquer dans mes compétences ?
Parce que ça je pense que c’est bien plus valable que « polyvalente » ou « rigoureuse »
ou « anglais : courant (ou fluent quand je suis sur google translate)».
… « Sait bitcher sur tout le monde sur
un panel très large, allant du défaut physique au niveau intellectuel en
passant par les photos des enfants, les accents et les chaussures. »…
Toi non plus
tu n’es pas toi-même, tu joues les sérieux, les importants parce que tu sais
que je suis prête à ramper pour les quelques petits milliers d’euros que tu as
à m’offrir dans le cadre d’un emploi précaire à durée et intérêt limités, tu as
quelques semaines, quelques mois de mon avenir entre tes doigts poilus, tes mains
trop lavées mais quand même un peu moites.
Tu te sens
un peu comme un dieu, tu as une responsabilité, tu te sens concerné et tu
fronces les sourcils, très concentré à chacune de mes réponses.
Mais tu ne
t’y intéresses pas plus que moi, à tes questions, et tous les deux on se
couperait la main plutôt que de l’admettre.
Tu me parles
de CDI comme si c’était un Graal, comme si ça allait me faire briller les yeux,
tu comptes « embaucher » peut-être, si on est sage et qu’on finit
bien notre soupe.
J’ai 27 ans,
tu te demandes si je veux des enfants et si tu vas devoir te cogner encore un
congé maternité, si d’ici deux ans tu soupèseras mon cul mou avec dégout et que
tu lèveras discrètement les yeux au ciel devant les photos de mon marmot rose
et hurlant.
Tu ne sais
pas comment me demander si je compte pondre, tu as peur de passer pour un
phallocrate, ce que tu es, ce que je hais.
Tu aurais
préféré que je sois arabe, là au moins le problème aurait été réglé, je
n’aurais pas été embauchée.
Qu’on soit
bien clairs, toi et moi, cet entretien je m’en branle, j’aimerais avoir une coquillette
que je sortirais de mon caleçon et que j’agiterais de manière obscène sous ton
nez pour mieux illustrer mon propos, mais j’en ai pas. JE M’EN BRANLE, tu
comprends ?
Tout cela
n’est qu’une mascarade, une danse de salon où je cherche à dissimuler ce que tu
tentes de deviner.
Tu veux
connaître mes qualités ?
Je suis
professionnelle, mais uniquement parce que j’ai été bien élevée.
Je suis
professionnelle parce que même si ma tendance naturelle est à la glande, j’ai
peur du vide, celui de mes sujets de conversation, de mes capacités, de mes
heures, celui de mon compte en banque surtout.
Je suis
professionnelle parce que je n’ai pas peur de toi, ni des autres.
Je suis
professionnelle parce que je n’aime pas la hiérarchie et que le meilleur moyen
de ne pas avoir de rapport avec elle c’est encore de bien faire.
Je suis
professionnelle parce que je suis observatrice, sensible par anomalie génétique,
ponctuelle par éducation, hypocrite par devoir (mais aussi méchante par envie,
mais chuuuut…).
Et mes défauts ?
Aaah, cette question, tu l’adores. Cette question piège à laquelle on a tous
envie de répondre « perfectionniste ».
Je déteste le
travail en équipe au sens très large du terme, c’est-à-dire que tout être
vivant croisé à partir du moment où j’entre dans l’ascenseur est subi. Surtout
si c’est une femme ou un homme, surtout entre 18 et 60 ans, ça fait du monde,
j’en conviens.
Mais naaaaan,
ne t’agite pas dans la chemisette Celio jaune coquille « la deuxième à
50% », tu vas transpirer dans le polyester et ça va sentir le ragondin en
pleine sieste estivale, je ne vais pas te l’avouer, ça.
Je vais bien
trouver un point négatif sur moi qui n’en est pas un… J’ai du mal à déléguer parce
que je prends trop les choses à cœur ? Je suis rancunière car très
exigeante avec moi-même et mes congénères ? T’en veux encore ? J’en
ai tout plein mon système digestif des poncifs comme ça.
Je connais
le chemin que doit prendre ma langue pour s’enfoncer profondément dans les
méandres de ton… attente. La mienne est agile, j’use de ma salive, mon
caractère est trempé, mes mots sont de la chaux vive de l’eau vive et
crois-moi, je sais ne pas mouiller ma chemise.
Ai-je une
dernière question pour conclure cet entretien ? À quel étage sera mon bureau…
Savoir si mon suicide sera douloureux en cas de défenestration, si je vais
juste me fouler la cheville ? Sinon y’aura peut-être moyen de passer un
bout de tête dans la badgeuse en cherchant bien… Ne t’en fais pas, maladroite
comme je suis, je risque de me faire une hémorragie avec un taille-crayon électrique
avant que tu n’aies pu alerter la médecine du travail sur mes tendances
suicidaires.
Tu me
remercies, tu me tiens au courant.
Bien sûr, tu
me rappelleras dans deux ou trois jours pour me dire que j’ai le poste, que je
commence lundi, que tu as besoin de mon RIB et d’une photo, tu me salueras en m‘appelant
par mon prénom cette fois, car nous sommes de la même famille, maintenant.
Tu te réjouiras
car tu auras bien travaillé cette semaine, tu auras trouvé une nouvelle collaboratrice
pour ton service, tu mériteras ton RTT.
En plus tu
as cru deviner un bout de tatouage sur ma hanche de moins de trente ans, ça t’a
un peu excité.
Tu fermeras
le dossier rose en carton, tu le rangeras dans l’armoire à côté de centaines d’autres
et tu rentreras chez toi.
Le pire dans
tout ça, c’est que pendant ce temps, je raccrocherai aussi de mon côté, je
fermerai aussi ma pochette rose et je serai plus que soulagée, rassurée,
flattée… Je serai contente.
Contente
comme quand le type que toutes tes copines convoitent te drague, toi, alors que
tu t’en fous.
Contente
comme quand tu as eu la meilleure note au contrôle de Français et que le prof
te félicite.
Contente
comme un trouffion qui reçoit sa première et étincelante médaille de guerre.
Contente de
réussir, d’être la première, d’avoir remporté le prix sans jamais avoir eu à
chercher à me battre. Contente de faire mon chemin sans ambition, sans goût du
challenge, sans conscience professionnelle, en allant au plus simple, au petit
bonheur la chance, sans trop se compromettre.
Réussir un
peu dans un milieu où paradoxalement je devrais être fière de rater.
Le pire dans
tout ça, c’est pas toi, c’est moi.
Veuillez, cher
DRH, cher Korrektor, cher lecteurs, agréer l’expression de mes sentiments les
plus, heu… mitigés ?
Je te trouve un tantinet indulgente avec le corps recrutant. Il recrute, tu éructes, l'essentiel est ailleurs : avoir un boulot et penser à autre chose.
RépondreSupprimerles DRH je les brûle vifs pres leur avoir fait manger leurs enfants et leur labrador, mais j'ai peur qu il y en ait dans mon lectorat, alors j’édulcore.
SupprimerMoi j'aime bien, c'est ambigu comme la vie, le désir de réussir tout en en mesurant la vacuité, le j'voudrai bien mais j' peux point de l'ambition, le dégoût de cette même ambition tout aussi futile que médiocre
RépondreSupprimerEn somme c'est de la merde, mais une merde qui a bon goût :)
allez je m'en remet une louche a ta santé parce que c'est bien dit!
SupprimerEh bien moi ça m'a fait rire. Et le dialogue avec M. Patate-Frite aussi. Et l'intro aussi.
RépondreSupprimerEt ça m'a d'autant plus fait rire que je n'ai jamais vraiment été dans ce genre de situation, moi, ça m'a toujours surprise qu'on trouve que je conviens pour le poste. Mais j'ai épousé le type qui n'a jamais écrit une lettre de motivation de sa vie, celui qu'on est venu chercher à la sortie de son école avec une offre de CDI, celui qui est passé déposer son CV à tout hasard dans une boîte à 2 pas de chez lui quand il a voulu changer de job et que le directeur a appelé dès son retour de vacances "vous pouvez embaucher quand, dites dites dites ?"
la chaaaaaaaaaaaaance, j'aimerais tellement que ca m'arrive... bon en même temps ca ferait moins de truc a raconter... l'un dans l'autre....
SupprimerEt puis je savais que le pigeon mort ca ne pouvait pas faire rire que moi, huhuhu
Alors là, _LA_, chapeau bas ...
RépondreSupprimerJ'ai tout lu chère mademoiselle O., toute ta prose, depuis de début (je me suis fait chier avec ton blog qui oblige au "Message plus ancien" pour avoir la suite à rebours que ça en devient frustant à la longue d'avoir l'histoire dans le mauvais sens).
Et bien je crois que tu viens de toucher au sublime. Merci à toi pour ce magnifique morceau d’anthologie d'entretien d'embauche et de tranche de vie.
Merci à toi pour ce règlement de compte avec tous les DRH du monde. Je ne me serais pas fait l'entorse du siècle avec ma poubelle avant de te lire que je serais en train de danser une gigue de joie en gloussant bêtement. Et même que je glousse bêtement quand même en regardant ma cheville enfler, c'est pour dire ! :-)
Sérieusement, j'adore ta vision des gens et des situations. Je n'attends qu'une chose : la suite de tes aventures pour continuer à rire du coté noir de la vie.
Cordialement,
Kébra
PS : pour les entorses, à part le Nifluril, y'a quoi d'efficace ? :-/
demande directement de la morphine à ton toubib, quitte à surjouer un peu la douleur... t'auras encore mal, un peu, mais au moins, tu vas délirer et t'auras des trucs amusants et hallucinogènes à raconter après
Supprimercomment ça "mauvaise réponse" ? pfff... m'apprendra à donner des bons conseils, tiens ! (ronchonne)
@Kébra : la hache ?
RépondreSupprimer@O. :)
Non, le plâtre ...
SupprimerLe plâtre c'est bien, parce qu on peut dessiner des bites au feutre dessus.
SupprimerOu des trucs plus beaux et intelligents.
Mais toujours moins drôles.
Allez l'éclopé, tu me fais trois tours de stade.
hin hin hin
Avec les béquilles ou en rampant ? :-/
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