mardi 24 janvier 2012

Lucky Day I.


[L’article est un peu long alors je le tronçonne. Nan en vrai c’est parce qu’en bonne grosse feignasse ça me permet d’écrire moins et de plus regarder les BORGIA en mangeant des gâteaux orange.]

LES URGENCES : OUKILE docteur Jorjeclouné ?
- Ah ces connards de l’hôpital, ça fait depuis 21h que j’attends, CONNNNAAARDS ! Hurle une femme à côté de moi. Elle cherche des yeux un témoin à son malheur et à l’injustice de sa situation. Ah… Vous n’êtes pas prête de passer mademoiselle ! Me chuchote-t-elle.
Pourquoi ça tombe toujours sur moi ? Elle attend ma sollicitude alors que j’ai envie de lui dire que tant qu’elle gueule comme un putois c’est qu’elle a plutôt la patate.
Je ne lui renvoie qu’un regard torve de bovin malade et tout prêt à devenir un steak du « Buffalo Grill ».

M. Patate Frite me caresse la tête et me dit que ça ne va plus être long.
Le clochard qui parle tout seul à côté de lui se penche et lui lance un pet tonitruant au visage. Finalement il admet que ça va être un peu longuet.
Je me demande comment les choses peuvent être plus désagréables.

La douleur me pilonne l’estomac, je suis épuisée et autour de nous la cour des miracles continuent de faire le show. Chacun joue son rôle à merveille, les urgences « psy » voient des gens qui n’existent pas, les sanguinolents sanguinolent et les chaises en contreplaqué glissent.
Je décide de m’allonger, la tête sur les jambes de mon Chauve mais à mi-chemin, la douleur me stoppe, je me retrouve une patte en l’air, incapable ni de m’allonger ni de me relever, à glousser comme un poussin qu’on écrase par mégarde avec un cageot.
J’ai l’air d’une tortue tombée sur le dos, ça ne m’avait pas fait ça depuis ma dernière séance d’abdos au Club Med Gym.
Tout le monde me regarde, s’ils pouvaient ils riraient mais chacun a son œil sanguinolent ou son taux d’alcoolémie à gérer, alors ils se contentent de fixer M. Patate, qui me redresse tant bien que mal.
La vieille se remet à hurler « J’ai mal bande de CONNNNARDS, j’ai mal au ventre… ET LA JEUNE FILLE AUSSI », et elle se remet à fourrager dans son paquet de chips au paprika.

Ok j’ai rien dit, la situation PEUT être pire.

Après trois heures d’attente, une petite fille brune en baskets jaune et grise m’appelle, elle porte la blouse blanche de sa maman et c’est très mignon, elle s’appelle Jennifer.
Je me dis que c’est bien de prendre des stagiaires de troisième mais quand même une nuit aux urgences, c’est un peu hard, a-t-elle au moins des tickets restaurants ?

Un type l’alpague et hurle « docteur, docteur… », et la petite Jenny l’envoie bouler avec autorité. Je me gausse à l’idée que cet homme sérieusement éméché ait pu prendre ma mignonnette petite compagne pour un médecin.
Elle se retourne vers moi et me lance « Celui-là je l’ai ausculté tout à l’heure, SERIEUX il m’a TROP saoulée ! Bon, à vous. Attendez, je regarde votre dossier ».
J’ai officiellement le médecin le plus jeune de la terre.

Rapide inspection et demande d’examens complémentaires, on me vide de mon sang, me pose une perfusion de gentils antidouleurs non sans m’arracher au passage une bonne douzaine de veines (c’est pas grave, j’en ai plein d’autres) et, comble de la joie, j’enfile une blouse bleu foncé assortie à mon vernis à ongles.
Mademoiselle Ocytocine reste classe en toutes circonstances, si j’avais pu j’aurais mis du rouge avant l’opération, histoire d’être assortie à mes boyaux.

On nous met, moi et ma perfusion, sur mon 4x4 personnel (qui porte le doux sobriquet de SAU 6, j’aurais voulu faire exprès que je n’aurais pas réussi) et on me re-balance dans les couloirs des urgences en attendant les résultats sanguins.
S’il y a infection, c’est une appendicite et j’ai le droit à l’échographie de circonstance et la radio du thorax, sinon… Eh benh je suis bonne pour la visite de mes ovaires et/ou de mes reins, qui je le rappelle n’ont absolument RIEN demandé à personne.

S’ensuivent six longues heures d’attente où mon pauvre monsieur Patate se roule en boule au pied de mon brancard et dort un peu comme il peut. J’ai envie de lui faire de la place sur mon lit et j’me dis que nan, après tout lui s’il veut il peut faire des trucs de fou, genre se tenir droit ou éternuer sans hurler. Alors merde, il se fera un torticolis à ma santé.

À 8 heures, Jennifer-qui-pourra-boire-de-l’alcool-d’ici-deux-trois-ans m’annonce qu’effectivement j’ai gagné, c’est l’appendicite, j’ai le droit à une écho’ mais plutôt vers 10 heures. Parce que y’a d’autres gens plus urgents.
(Traduction faite par ma belle-sœur infirmière quelques jours plus tard : « Oh, ils voulaient pas payer un professionnel de nuit, c’est pour ça que tu as attendu »).
J’m’en fous.
« S’il y a un savoir-vivre, il y a surtout un savoir-mourir », comme disait M. Manatane.
Ma blouse et mon vernis sont assortis, je peux laisser venir la péritonite en toute quiétude.

Entretemps, Frau et Général Ocytocine, mes bons géniteurs, ont débarqué pour la relève.
À peine arrivée à l’hôpital la veille au soir, j’avais appelé Frau Ocytocine, ma douce mère, qui m’aurait certainement elle-même retiré mon appendice avec les dents si je ne l’avais pas prévenue de mon état.
Elle ordonne à monsieur Patate de disposer et de se reposer. Habitué à obéir à belle-maman qui a aussi des « couilles sous le menton » (je le cite), il claque du talon de sa superstar noir et blanc, m’embrasse sur le front et clopine tant bien que mal jusqu’à notre appartement pour prendre un peu de repos.

Quand Frau et Général O. entrent en scène, le monde autour n’a qu’à bien se tenir. Chacun sa méthode, mais le résultat est assez hilarant efficace.

Général O. se tient au garde-à-vous près de mon brancard et pourra tenir sans ciller ni manger pendant plus de trois semaines. Il a été élevé par des moines Shaolin, n’en doutez pas. Un chien de garde rendrait les armes avant lui. Quand mon père a quelque chose en tête, il l’a pas dans le c…l, comme dirait ma mère.
La force tranquille et la destruction par la ténacité.

Frau O., dont la technique est plus instinctive, vide autour de moi les deux sacs de voyage blindés qu’elle a apportés. En langage de mère poule, on pourrait appeler ça « nidifier », s’il y avait eu des branches mortes et des herbes sèches, je me serais certainement retrouvée dans un arbre du parc de l’hôpital.
Tu connais pas ma mère.

Bref, je suis heureusement sauvée des griffes de mon armée d’élite parentale par le monsieur-de-l’échographie qui devait être dans la même classe que Jenny-l’enfant-médecin. Il cherche mon appendice comme on cherche une bière au fond d’un frigo un samedi soir, en tâtonnant et en renversant des trucs.
« Il n’est pas là où il devrait être… » Dit-il en appuyant gaiement. J’ai envie de lui rétorquer que lui non plus, et moi encore moins mais puisqu’on est là tu vas me TROUVER MON APPENDICE putain de stagiaire de mon os iliaque ?

C’est là que sa version senior entre dans la salle et change le ton :
- Bonjour mademoiselle… Vous avez mal quand j’appuie là.
- RHAAAAAAAAAAAAAAA !
 Il s’adresse à son petit bleu :
- Tu vois, c’est l’appendicite quand tu appuies là.
- RHAAAAAAAAAAAAA !
- Voilà…. Bon, félicitations mademoiselle, vous avez gagné un tour en salle d’opération. Mais avant… Radio du thorax.
- Heuuurgh…


- Bon, on ne préfère pas les faire aux jeunes femmes en général mais là… La chirurgienne préfère.
Ouais nan mais c’est pas grave, j’adore me faire « fukushimaïser » la gueule dès le week-end venu. Je vais régulièrement me rouler dans mon micro-onde. Une petite séance de bronzage, là, ça me fera pas de mal.
- Vous n’êtes pas enceinte au moins ? Me demande-t-elle.
- Benh sinon faut me le dire, parce que ça fait deux trucs à enlever.
Ok, même alors que je vais me faire becqueréiliser/irradier la gueule, je ne sais toujours pas la fermer ; pourquoi faut-il toujours que je l’ouvre avant de la fermer ? Même à l’article de la mort il faut que je parle d’avortement ? VRAIMENT ?
Il y a des moments dans la vie auxquels tu ne peux repenser sans avoir envie de te gifler. Celui-là en fait partie. Les infirmières me regardent avec des yeux exorbités. Elles hésitent et ricanent à leur tour.
- Oh nan mais sérieux hein. Si c’est un mioche faut faire une miochectomie aussi hein ?

10 commentaires:

  1. Ocytocine plus forte que la mort ! Je retire mon dernier commentaire, vu ce que tu as balancé aux infirmières.
    Je me marre encore, c'est dingue comme on peut rire du malheur des autres ! Mais comme tu es la première à le faire (de toi-même qui plus est), je me prive pas de m'étrangler avec mes pépitos.

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  2. Ah, les visites aux urgences... Bon moi je n'en jamais fait, mais je peux te dire que la plupart des médecins qui font les premiers examens sont des internes, donc assez jeunes (je passe trop de temps sur les -parfois hilarants- blogs de médecin). Et puis tu aurais aussi pu tomber sur un externe qui s'entraîne à diagnostiquer : il te pose dix mille questions, note les réponses, mais c'est pour du beurre, après l'interne vient et te repose les mêmes...
    Quand j'étais étudiante, avec mes colocataires on allait voir des amis et on a eu un accident, la voiture a fait un tonneau... on apportait le dessert, il y en a eu de partout dans la voiture, tout le monde était sale. Bon moi, avec mon angine diagnostiquée le matin même, je n'avais mal qu'au fond de la gorge alors j'ai préféré aller me mettre au chaud plutôt que d'aller montrer mes cervicales aux urgences. Pour un accident qui avait eu lieu à 20h, mes amies ont été prises en charge vers 2h du matin : elles avaient été amenées par des amies. Si elles étaient arrivées en camion de pompier on les aurait prises plus vite, c'est un médecin qui leur a expliqué ça. Du coup, le médecin qui s'est occupé d'elles a dit "ha c'est l'accident de la mousse au chocolat !", et avec les infirmières ils étaient morts de rire. Voilà, ça fait bien plaisir tout ça non ?

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  3. Je suis obligé de balancer un like à la phrase :
    "- Benh sinon faut me le dire, parce que ça fait deux trucs à enlever."

    Quel teasing... LA FIN LA FIN VITE !!

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  4. Ah ben, au moins je suis bien loti dans ce nordique pays; on tient les jeunes loin des urgences.



    Sven L. Ça m'as toujours paru si évident.

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  5. Si t'arrêtais de bouffer tes ongles aussi !!! Détends-toi, tu finiras bien par tomber enceinte... une copine pour Attila !
    Et dire que tu n'as pas gardé ton appendice, là tu me déçois, t'aurais pu penser à nous... un petit carpaccio pour les potes !!!

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  6. D'une précision chirurgicale ce récit... Porte-toi bien.

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  7. "Benh sinon faut me le dire, parce que ça fait deux trucs à enlever."
    Ça m'a achevé (mais vu les commentaires, je ne suis pas la seule)
    Que d'aventures. J'en regretterai presque d'avoir perdu mon appendice à un âge encore convenable. C'est raconté avec tellement de brio que ça donne envie.

    Vivement la suite !

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  8. Encore une fois (j'ai lu que je n'était pas le premier) la phrase de fin est génial, je vois bien la scène. J'adore le SAU 6 aussi (ça m'a rappeler le saw 6, oui oui il ont osés).

    J'ai "régulièrement" fait des sauts au urgence en général en camion de pompier donc rapidement pris en compte. Mais c'est vraie que quand tu dois attendre c'est super chiant.

    PS : je suis malade en ce moment, mais bon j'ai pas grand chose à par un arrêt de travail de deux jours, j'adooore mon médecin.

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  9. Hier je mangeais avec l'urgentiste, il voudrait plus de patients comme toi je pense. Ce qui l'enerve le plus, c'est que tout le monde pense qu'il est le cas le plus urgent, meme quand des types debarquent en arret cardiaque.

    J'espere que ca s'est finalement bien passe (j'imagine vu que t'es pas assez morte pour arreter de blogguer), et surtout ca me fait grave flipper, j'ai toujours mon appendice.

    Tu crois qu'on peut faire une appendicectomie preventive?

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  10. frau bématrice3 mars 2012 à 05:03

    Merci ma fille..je viens de comprendre que l'hérédité l'emporte sur l'environnement.
    Je m'explique: ma grand-mère paternelle (Céline), blonde aux yeux bleus,originaire des vosges en s'approchant (dangereusement) de la frontière allemende,aurait tout à fait bien porté le pseudo de Frau mamie.....
    Signé frau petite fille!

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