mercredi 2 novembre 2011

Rencontre du samedi soir.

Ce n’est pas un rire, c’est un mugissement quelque part entre le ricanement de la hyène et le barrissement d’un éléphanteau. C’est un éclat, un tremblement de mèches folles, le tressaillement d’une poitrine trop dénudée et mal contenue qui convulse dans le soutien-gorge trop petit.
C’est un claquement de dents qui s’entrechoquent entre des joues rondes, elles ne sont pas très blanches, pas très bien rangées, mais exposées avec une impudeur délicieuse.
Ce n’est pas un rire, c’est une invitation bruyante, un appel à l’admiration qui se mue en supplication.

Ce qui a déclenché ce rire fabuleux, énorme, un peu vulgaire, un peu surfait, c’est une blague pas vraiment drôle, un peu machiste, pas fine d’un type qui n’a pas beaucoup de repartie.
Elle parle vraisemblablement de cul, de nichons, à coup sûr de blonde un peu bête.

Ou peut-être que ce n’est même pas une blague, c’est une remarque salace sur une fille vaguement tripotée ou carrément pénétrée. On parle de son poil de trop, de son kilo de trop. Peut-être que c’est pire. Peut-être qu’on parle de son hygiène, de ses sous-vêtements pas très propres.
Imperceptiblement, la fille rit moins fort et remonte son débardeur qui a glissé. Par précaution, elle cache son Wonderbra un peu usé.

Elle regarde les hommes autour d’elle, un à un. Celui qui baise industriellement, celui qui ne baise jamais, le romantique qu’elle surnomme « puzzle », qui finit toujours brisé, en mille morceaux, foulé du pied par le talon d’une salope sans cœur, celui qui est heureux dans son couple et heureux de temps en temps dans une autre. Ils rient tous du même rire. Aussi franc que stupide.

Elle pourrait leur dire, elle pourrait leur parler de la peau malsaine de l’un, de l’arrière des oreilles de l’autre qui voit trop rarement le savon. Ou encore comparer leur minable bite trop longue à la détente et trop courte à la mesure.
Elle pourrait, lequel d’entre eux n’a pas essayé un jour de la séduire ou de la saillir ? Lequel d’entre eux n’a pas un jour baissé son caleçon et sa garde devant elle ?
Elle pourrait faire disparaître d’un seul mouvement le sourire et l’odeur musquée de testostérone mal utilisée qui flotte autour d’elle.

Elle pourrait. Elle saurait. Mais le tribut à payer pour rester entourée de ces garçons c’est de se taire beaucoup et rire encore plus.
La rançon, pense-t-elle, pour être l’amie des hommes, c’est d’être comme eux. D’être plus qu’eux. Plus machiste, plus crue, être vulgaire, connaître la bite comme si elle en possédait une, les posséder toutes pour s’en faire pousser une.
N’avoir pas peur des mots et encore moins des actes.

Se moquer des manières des donzelles, rire de leur obsession du maquillage tout en se remettant du rouge vermeil sur les lèvres. Se plaindre de leurs minauderies et de leurs manières tout en utilisant tous ces artifices à outrance.
Lutter seule face aux nuées gloussantes qui s’échangent, commentaires et confidences. Lever les yeux au ciel d’agacement et empêcher les larmes de couler.
Les mépriser très fort et les envier tout bas.

Son rôle à elle est plus important dans la vie des hommes, plus complet et plus profond.

Il faut savoir disparaître quand une nouvelle petite copine apparaît. Revenir quand c’est terminé.
Être mille visages mais jamais le sien. Être à la fois la grande sœur protectrice, la marraine bienveillante, la conseillère matrimoniale, le cœur et la poitrine généreuse sur lesquels on pose sa tête et sa peine.

Il faut savoir dire « cette fille est une pute, tu mérites mieux ».
S’entendre dire« toi tu es vraiment une bonne amie et la fille idéale. »
Et rester seule malgré tout.
Il faut savoir transformer ça en choix.



Dans le bar, alors qu’elle s’envoie une bière de plus, autant que les hommes, plus que les hommes, plus vite que les hommes, qu’elle lance un rot retentissant qui les fait glousser, une fille rentre.

Ils se retournent tous, ils lui sourient et l’interpellent. Elle se joint à eux.
D’ici peu La Nouvelle sera la copine ou l’amante d’un des garçons de groupe, elle le devine, elle connaît l’histoire par cœur, il y en a eu tant des comme elle.
Des plus ou moins jolies, parfois timides et effacées, parfois bavardes et charismatiques, mais toujours des greluches qui ont fait trois petits tours et sont parties en laissant quelques anecdotes croustillantes ou un cœur brisé.

Elle plisse les yeux pour mieux la dévisager cette Nouvelle, elle plisse les yeux comme la méchante reine des contes, c’est un chat devant une souris.

Elle n’en fera qu’un bouchée, elle la renifle de la tête au pied, de la chaise du bar au pieu : duvet de poussin sur la lèvre ou maigres jambes de sauterelle, face simiesque ou croupe chevaline, tout le manège y passe.

Elle hume ses hormones et soupèse ses formes, calcule, soustraie et additionne et déduit ses capacités à plaire et devine ses possibles qualités au lit ; elle est le chien policier qui retrouve à la trace de la poudre ou le skieur dans la poudreuse, le molosse qui garde la maison, elle est le chien de berger qui veille sur ses moutons.
Contre les chiennes.

Elle est en position de force, elle a pissé sur le territoire, elle est le mâle alpha qui connaît tous les secrets des femelles, leurs forces et leurs faiblesses.

Elle remarque que la nouvelle se dissimule sous un rideau de cheveux noirs. Elle fuit la lumière, elle veut cacher ses imperfections, elle semble mal dans sa peau…
En fin limier, elle sait qu’elle n’est pas loin de trouver la clef. C’est justement sa peau qu’elle cache, une peau imparfaite et couverte d’une couche épaisse de fard.

D’un coup de croc, d’une remarque cinglante, elle se jette à la gorge poudrée et arrache le masque de la Nouvelle qui vacille et pâlit sous le fond de teint.
La vacherie est arrivée sans crier gare.

Satisfaite d’avoir su frapper là où la douleur sera cuisante, elle sent la peur et la frustration la quitter un peu. Elle peut se repaître de cette victoire encore et encore, un os délicieux à ronger.
Elle sert d’ailleurs un regard naïf et bovin à la Nouvelle, stupéfaite, qui se demande pourquoi elle sert de repas à un tel cabot enragé.

C’est allé trop vite, ç’a été trop fin pour que l’équipe autour comprenne. Ils ont à peine remarqué.
La fille se lèche les babines, essuie le sang sous son masque de gentil bovidé. Elle s’est faite une nouvelle ennemie dont elle n’a pas peur. Elle n’a que ça, les amies filles pour elle ça n’existe pas. Une fois hors du coup et de son territoire, elles redeviennent quantité négligeable.

Elle garde son statut de copine du groupe, d’unique amie, de seule femme admise à la table des hommes. La voilà soulagée.
Dommage qu’aucun des hommes présents ne soit capable de comprendre les doubles dialogues des femmes, ils seraient si contents d’apprendre que sous leurs yeux vient d’avoir lieu un combat dans la boue.
Elle laisse échapper un rictus que la Nouvelle ne manque pas de noter.

Si elle avait une confidente elle lui raconterait certainement.
Elles sont tristes les filles qui n’aiment pas les filles.

17 commentaires:

  1. Un très beau texte. Vraiment, très émouvant quelque part.

    Du vécu peut-être ?

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  2. Personnellement étant donné que je viens uniquement dans le but d'avoir mon ouarf ouarf quotidien je me sens un peu flouer.

    Cela dit, le changement de style est réussi je trouve, le texte ce li très bien.

    La dépersonnalisation et le style plus proche du récit pur crée de la distance là où d'habitude tu créer de la proximité.

    Je pense que l'effet sur le lecteur est bien celui tu attend, ce qui n'est pas simple. Bravo.

    Voila assez de gentillesse je vais aller voir l'odieux connard, il parait qu'il à sorti une nouvelle critique, ça devrait me faire marrer un peu.

    Le bisous

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  3. Maîtresse Gamelle2 novembre 2011 à 05:55

    merde, j'ai failli pleurer

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  4. LILOU : un peu de vécu et surtout de l"observé". J'en croise pas mal des filles qui n'aiment pas les filles.

    GG : oui c'était le risque de faire un peu moins dans la rigolade...ca plaira pas a tout le monde. tu reviendras dis? tujouespastapute hein?

    GAMELLE : une petite coupette de champ' et c'est fini.

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  5. Ca plaira pas à tout le monde mais moi ça me plait, surtout que ça a pas l'air comme ça vu de l'extérieur du groupe dans un bar mais c'est triste quand même... J'aime ce changement de style, oublier la légerté ne fait pas de mal de temps en temps ! Mais je veux bien une coupe de champagne moi aussi !

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  6. Moi aussi j'aime. Une page sérieuse de temps en temps, c'est bien aussi, et on ne peut pas dire qu'on ne te reconnaît plus du tout, pour autant.

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  7. Putain, miss, tu assures.

    C'est marrant, je ne suis même pas surpris car c'est pour lire ça que je viens chez toi.
    C'est en filigrane dans tes autres textes.

    Quelque part, tu ressembles à cette fille...

    « La fille se lèche les babines, essuie le sang sous son masque de gentil bovidé. »

    Sauf que toi, c'est ton propre sang que tu nous caches sous ton masque de "sephorette" ou d'"imposteuse".

    Enfin, c'est comme ça que je le vois mais bon, sans mes lunettes... :)

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  8. SVEN H et AGNES: Je propose et vous disposez. J'en ferais pas tous les jours des comme ca quand même...

    OROR 404 : tu peux pas dire le contraire, on est toujours plus ou moins a la même table des memes bars. huhu

    ERIC : j'ai jamais dit que j'étais pas une imposteuse même sur mon blog huhuhu.
    Tu vois très bien va, pas besoin de prendre rdv chez l'ophtalmo...

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  9. J'adore!! J'aime beaucoup cette façon d'écrire et merde...je me retrouve: la super bonne copine, la seule fille d'un groupe de mecs!!!!J'ai quand même des amies filles...qui sont comme moi, un peu garçon manqué!! Ouai ce texte me parle!! Et puis merde, j'assume!!^^ En tout cas, beau texte!!

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  10. une radasse a fait du globe oculaire à ton tubercule d'amour ?

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  11. On ne t'a pas demandé de renoncer à la saga ocytocinienne, il nous faut notre pain quotidien de poisse, d'imposture, de sephora, de voyages et de M. Patate-Frite (t'as pas peur que quelqu'un en tombe virtuellement amoureuse d'ailleurs?). Parce que ça rend les journées de travail plus agréables. Mais bon si en plus on a droit à une Ocytocine poétique, on va certaineent pas cracher dessus !

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  12. NAT : Si tu te retrouves c'est que tu n'es pas perdu a la cause feminine. T'aimes bien les filles quand même?

    DAMIEN : naaaaaaaaan, sinon j'aurais fait un article sur "comment on arrache des yeux avec un cure dents, un couvercle de conserve de choucroute et deux apéricubes.

    SVEN H : toute fille anormalement constitué tombera amoureuse de monsieur patate frite virtuellement.
    Il y a des chnace pour qu un concert de ce soir il se prenne deux trois string a pailettes sur la tête. Donc je pourrais faire mon article sur "comment on arrache des yeux avec un cure dents, un couvercle de conserve de choucroute et deux apéricubes.

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  13. Moui, je reviendrais, je suis trop fan.
    ...
    et puis j'ai surtout trop de temps mort au travail.

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  14. J'aime... J'en ai eu des frissons et comme j'ai réussi à développer ma part de féminité grâce à ma mère et ma soeur, j'ai déjà été témoin des piques sèches et cinglantes entre personnes de la gente féminine... Les filles sont parfois des hyènes entre elles!

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  15. Hahahaha, je veux une méthode ocytocinienne de l'arrachage d'yeux de poufs en furie (et en rut), ça me serait bien utile ! Quoique le jour où je m'énerve vraiment, y a pas que les yeux qui manqueront aux poufs en question, je leur offrirai une chance inouïe de suivre mon régime "soupe aux choux et bouillon de légumes". L'inconvénient, c'est qu'il faudra à tout prix qu'elles évitent de parler ou même de sourire.

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  16. Enorme. J'ai adoré. Je me suis vue à côté de la fille aux lèvres merveilles en train de boire sa bière au bar. je l'ai vu, presque vécu. Un peu comme la Pensine d'Harry et Dumbledore.

    Ocytocine la pensine... ça rime en plus la loose.

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