vendredi 1 juillet 2011

L’ami du petit-déjeuner, l’amie Logorrhée


Tu le sais je ne suis pas aimable, pour ne rien arranger je ne cours jamais les léchouillades et embrassades.
 Hormis, bien sûr, lorsqu’il s’agit de Monsieur Patate Frite à qui je gratte régulièrement un bisou (Vas y joue pas ta pute, lâche ton mac et donne un poutou… steuplé…  Donne un poutou ou je te défonce.).

Je n’ai jamais compris les collègues de travail qui se font la bise tous les matins. Chez nous, vous imaginez bien que cela ne se fait pas. Même à l’époque glorieuse où nous n’avions ni chef ni rancœurs les uns contre les autres, nos salutations étaient viriles.
On grommelle un « b’jour » à la cantonade et on se colle devant notre écran sans même jeter un regard à ceux qui sont autour.

Chaque jour je suis en retard, chaque jour je suis une des premières à arriver, c’est dire l’engagement et la motivation qui règne au sein de notre meute de chiens équipe.
Collègue Pamela débarque en bonne dernière, l’air pressé, affairée comme si ça changeait quelque chose que son ordinateur soit allumé à 10h23 plutôt que 10h22.
Le silence règne ensuite, à peine entrecoupé d’insultes aux ordinateurs, des tips tips de mes doigts furieux sur les touches et de soupirs ennuyés. Ambiance. Animation. Le Zouk Machine 2011 se déroulera certainement dans notre open-space.

Dans cette atmosphère de mort il y a une rebelle. Un village gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. La collègue Logorrhée.
Collègue Logorrhée est une femme charmante, toujours de bonne humeur, comme si elle ne sentait pas autour d’elle l’odeur putride de notre manque de sympathie les uns envers les autres.
Elle est la seule à refuser de sombrer dans l’inertie et la dépression. Elle pourrait être un vent de fraîcheur dans cette ambiance de mort, puisqu’elle, elle cherche encore à communiquer.

Oui. Mais non.
La communication…  c’est bien là tout le problème. Car Collègue Logorrhée n’a pas d’amis, pas de famille et personne à qui raconter sa vie en dehors du travail. Alors dès qu’elle arrive, à la première heure, qu’elle croise des gens, elle parle. Elle parle, parle et parle encore. C’est un flot incessant d’auto-questionnement et d’auto-réponses.
Elle est capable de passer sans transition de ses chats obèses à son repas de midi pour diabétique, à la copine de son fils « pas jolie mais sympa » et ce sans que jamais la personne alpaguée ne puisse en placer une.
D’ailleurs très vite j’ai saisi qu’il ne fallait pas essayer d’échanger mais juste écouter.
Puis au fur et à mesure du temps, j’ai compris qu’il ne servait à rien non plus d’écouter.
J’ai aussi compris qu’il fallait fuir dès qu’elle s’approchait à plus d’un mètre.

Oh j’ai essayé de ne pas me faire alpaguer en faisant comme certaines de mes collègues : ne jamais la regarder dans les yeux et ne jamais ponctuer ses phrases par des « hum hum/Oh !/ Ah bon ? » encourageants. Mais je n’ai pas le cœur aussi dur que les autres et j’ai encore quelques scrupules lorsque ses phrases tombent à plat dans un silence désintéressé.
Alors je fais « hum hum » et elle arrête de s’adresser à tous pour se concentrer sur moi.

Parfois lorsqu’elle sent qu’elle n’attrapera personne de bon matin sans faire quelques efforts, elle tente une question :
- C’était bien tes vacances ?
- Oh oui c’était bien ! On était à …
- Parce que moi je pars jamais en vacances. Je reste chez moi. Sinon qui s’occuperait des chats ? Pas mes enfants. Parce que mon fil, s’il…
On est parti pour 35 minutes minimum.

Bien sûr impossible de la semer, on a essayé de trouver une parade, on a tenté de s’appeler entre nous. Dès que ça dure trop longtemps, Pamela fait sonner mon téléphone, à moi alors d’inventer un interlocuteur imaginaire et une urgence. Mais ça ne la dérange pas, elle attend que le coup de fil soit terminé.
Quand on lui dit «  Désolée, j’ai du boulot », elle répond «  Pas grave, prends ton temps, je suis pas pressée ». Et elle reste. Elle attend un peu. Puis trépigne. Regarde l’écran. Tripote les affaires sur le bureau. Commente. Recommence à monologuer.
Elle est capable de te suivre même aux toilettes. Une fois j’ai même dû dire « scuze je vais me sentir mal… thé vert. Pipi. Vite. ». Elle a embrayé sur ses problèmes gastriques. Je lui ai fermé la porte au nez.
J’ai pensé à me mettre à courir à travers l’agence en espérant qu’elle court moins vite que moi. Je n’ai pas encore osé.

J’ai tout de même trouvé la solution, enfin une demi-solution pour passer le temps : je l’emmène doucement jusqu’à mon bureau où je peux attendre que ça passe sur internet.
Par contre, il y a un hic : à côté de mon bureau, il y a une chaise supplémentaire pour mes victimes collègues qui viennent me consulter. Si par malheur elle s’y assoit, je sais en avoir pour minimum une heure de babillages incessants.
Quand je suis rentrée de vacances, qu’elle m’a sauté dessus dès le matin et qu’elle s’est effondrée sur cette chaise supplémentaire pour me conter les deux semaines passionnantes de ses trajets en bus et des tribulations de sa toute nouvelle petite fille (oh joie, les bulles de salive d’un nourrisson), je n’ai pas supporter.
Résultat, j’ai viré la chaise que j’ai apportée un soir à l’autre bout de l’agence.

Mais rien n’arrête La collègue Logorrhée. Rien.
Et pourtant ce torrent de mots inutiles, cette source intarissable de paroles sans intérêt n’est pas le pire. Parfois, cette collègue diabétique transcende ses envies de sucre en nous préparant des gâteaux délicieux.
Tu ne vois pas en quoi c’est un cauchemar ? Au début, moi non plus, je ne voyais pas.

Alors le souci numéro 1, c’est que déjà tu tapes toute la recette, le comment son fils il a tapé dedans la casserole, comment son chat il a voulu lécher le plat et comment elle va en faire à sa petite fille et… bref, tu as compris.

Dans un deuxième temps, il faut avoir un estomac solide. C’est pas un gâteau pour dix personnes. Nan… plutôt dix gâteaux  par personne. À tous les coups, il en restera du gâteau, beaucoup, la Collègue Logorrhée passera donc  te voir toutes les demi-heures avec son plateau pour te rerereproposer une part et te tenir la jambe une petite vingtaine de minutes au passage.

Si par le plus grands des hasards tu as eu le malheur de te rendre compte à ta dernière visite médicale que les petits délices chocolatés dont elle te gavait t’avaient transformée en truie à paillettes argentées (mon fard à paupières du moment) et que donc va falloir y aller mollo sur la bouffe, tu as intérêt à être très très patient.
Car la collègue verra dans la tiédeur avec laquelle tu accueilles ses offrandes une insulte personnelle.

Tu pourrais lui dire que tu te lances dans un régime… tu pourrais…. sauf que c’est son sujet de prédilection.
Sujet de prédilection = au bas mot trois jours de monologue sur les bienfaits du sirop d’agave et du pain complet. Donc tu préfères filouter en boudant le plateau de brownie aux noix qui est posé au centre de l’open space.
- Tiens pour ton quatre-heures.
- Mais… il est 11h !
- Bah pour l’en-cas avant le déjeuner.
- Non merci. Je suis gavée la. C’était très bon.
- Oh arrête, tu n’as mangé qu’une demi-part de cake au citron avec ton café, une minuscule part de brownie à 9h42 et le muffin aux pépites de chocolat est toujours dans ton tiroir.
Ce que tu n’avais pas remarqué c’est qu’elle COMPTE le nombre de part que tu as prise et VÉRIFIE ce que tu en fais.
- Oui oui, justement je le garde pour le goûter.
- Mange-le, il y en aura d’autres… il en reste trois tup’ familiaux dans le frigo.
- Non vraiment merci…
-Mange. Allez.
Ca devient presque flippant.
- NON. Merci.
- Pas grave, je repasse te voir demain matin, tu auras peut-être faim.

S’ensuit alors une série de remarques désobligeantes lancées à la cantonade mais fortement dirigées contre ta personne. Toi qui as osé dédaigner sa générosité et donc sa personne.

Tu crois que sa vengeance va s’arrêter là ? Niet. Figure-toi que le tiramisu du matin que tu as refusé de gober (un tiramisu ? le matin ? burp.) elle l’a mis là où tu déposes ton plat de midi et depuis il pourrit gentiment.

Tous les matins, en installant mes courses dans le frigo, je découvre ce dessert qui moisit gaiement là où je suis censée poser mes affaires, un peu comme un rat crevé dans  ma boîte aux lettres.

Je crois que l’ambiance de travail poisseuse dans laquelle je m’embourbe ne m’aide VRAIMENT pas.

12 commentaires:

  1. faut inventer la pause sport! il n'y a pas de torture pire que devoir faire de l'exercice le bide plein :)

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  2. Moi le tiramisu je lecuisine toujours le soir (et tu sais, mon chat...) du coup je le mange le matin. Etrange que ça te burpe.

    Logorhée a tout de la serial killeuse (un quoi?), le jour ou sa frustration débordera par manque de parlage, fais gaffe de ne pas être là. une fille tellement narcissique qui pique sa crise en se rendant compte qu'on vit pas chez les bisounours peut tuer n'importe qui avec sa fourchette.

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  3. laule
    (je crains d'être celle là)
    (dieu merci je n'ai pas de collègues je ne fais pas de mal)
    (toutefois je m'interroge)
    (bah ok je la ferme je sens que je te gave déjà)

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  4. Philachev : La paozsport est une idée tout à fait lumineuse. Mon mou de dessous de bras t'applaudissent ( l image est terrifiante, je sais).

    Gentil Salaud : Je me méfie de Logorrhée comme la peste. Elle vient d'alpaguer notre stagiaire dont les oreilles, encore tendres, saignent déjà abondement.

    Anonyme : Mais non mais non, ya bavarde et bavarde. Si tu t'es jamais pris un tiramisu dans la face, c'est que rien n'est perdu!

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  5. J'ai réussi à me débarrasser d'un collègue pot-de-colle-comptable qui nous trouvait HYPER SYMPA et qui voulait ABSOLUMENT nous inviter à une soirée karaoké avec les gens de son service (comptable, donc). A son énième invitation, fatiguée d'éluder, j'ai dit que c'était NON NEGOCIABLE. Avec des gros yeux. Il a dû comprendre, on l'a pas revu depuis.

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  6. Agathe ; encore faudrait il que j'arrive a en placer une! huhu.
    Je vais suivre ton exemple et lui dire " putain tes gâteaux je te les vomis a la gueule, je les supporte plus, ne m'en propose plus jamais ou je jure que te les enfoncer dans les yeux."
    tu penses que ca vaut un non-négociable?

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  7. je sais pas, mais c'est tentant ...

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  8. tu n'y es pas du tout Mlle O, pour vraiment avoir la paix, tu la chope part les oreilles et tu lui enfonce tes pieds dans les yeux jusqu'à ce qu'ils ressortent par sa bouche! Testé et approuvé, le personne ne parlera plus JAMAIS!

    Bon prévoir aussi quelques bidons d'acide pour faire disparaitre le corps dans une baignoire...

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  9. Prudence !

    C'est une espionne de la Grrrrande Direction, ne rapportant qu'au Big Boss tes faits et gestes.

    Sa mission est simple : tester la patience des membres de l'open space et empêcher le pozclopage intempestif et abusif car anti productif, en saoulant les victimes de paroles et bouchant leurs artères (préférer le cancer du gras contre cancer du poumon... mouaipfff, pas convaincu...) avec ses gentils gâtoooo (ah, la douce vision de la prendre par la tignasse pour lui écraser la gueule avec violence, préméditation et répétition dans sa saloperie de pâtisserie... pense à poser le gâteau sur un tapis de punaises retournées avant, ça sera plus fun).

    Le pire ? Il y a fort à parier que si tu lui démontres que la vacuité intersidérale de sa life réveille en toi des envies de lui ouvrir lentement le ventre avec une cuillère rouillée pour suspendre tous les organes au plafond avec des hameçons (et un à l'intérieur de la gorge pour faire bonne mesure), ou toute autre façon un peu plus diplomate (injection d'essence en intra-veineuse) de lui dire qu'elle saoule, là, jamais elle a du taf qui crie son nom ? tu risques de t'exposer à soit une crise de larmes et ululements qui te feront passer pour la pire des monstres (le tombeau des lucioles et Rémi sans famille seront des monuments d'humour et des hymnes à la gloire de la beauté de la vie, des papillons et des bisounours en comparaison), soit elle te ressortira l'intitulé officiel de sa mission (généré par le pipotron ---http://www.pipotron.free.fr/---) qui est d'étudier et optimiser la temporalité des relationnels personnel (toi et les gensses normaux)/ immatériel (les pozcaféclope, la vraie vie, kwâ) selon le ratio productivité/accomplissements objectif avec le coéfficient du terme fixe d'outillage obtenu par la multiplication des touches tapées en une heure avec le nombre de clics de souris.
    Et là, elle et le top gun des top gun sera constamment sur ton dos pire des vautours sur une carcasse fraîchement faisandée, tes collègues te seront silencieusement reconnaissants de mourir pour leurs pêchés (ils pensaient pareil que toi)mais ne bougeront pas le petit doigt pour te soutenir.

    Honnêtement, L'amie Logorhée mérite notre admiration (de tortionniare spikopathe), car même le PC Chinois dans ses grandes heures de la révolution culturelle n'a pas pensé à ça j'en suis sûr.

    Bon, concrètement, elle n'a pas un minou ou un pinpin mignon qui pourrait finir dans la cocotte-minute merci Glenn Close dans Liaison fatale ?

    Ou alors, principe des arts martiaux : retourne l'énergie de ton adversaire contre lui. Traque la avec tes récits de soirée goth, prêche pour qu'elle accepte la lumière du côté obscur, fais lui bouffer des space cakes, lache-la dans la fosse pendant un concert de Punish Yourself, emmène-la à une rétrospective de Ledroit sur la lune noire et 666.

    Courage, ma soeur.

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  10. Je heu... tu...Damien tu es comment dire, une sorte d'ami Logorrhée Virtuel.
    Je te propose qu'on l'attende a la sortie avec des battes et puis que tu la remplaces.
    Tant qu' a avoir quelqu un qui parle... autant que ce soit drôle.
    (par contre tu as interdiction de faire des tiramisu, tu seras mignon).

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  11. Je logorrhise sur les sujets qui me tiennent à coeur ^^

    Fear not, je HAIS le tiramisu !!

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  12. Ah oui, dans le même genre, j'ai eu la femme de ménage serbe qui m'apportait des spécialités au chou parce qu'elle me trouvait trop maigre et me tenait la jambe une demi-heure sur le thème y'a trop de basanés dans mon quartier avant de me refiler le tupperware...
    Je compatis.

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