jeudi 28 juillet 2011

Collègue Hysterella et les 101 poils de dalmatien.


Fort heureusement pour mes bons collègues, je suis peu en contact avec eux. Tout le monde se félicite qu’entre ma cage de fauves et eux, il y a un maillon de chaîne intermédiaire.

Pour servir de rempart vivant il existe des dresseurs professionnels :
- entre moi et les directeurs artistiques terrorisés,
- entre moi et les clients excités du blackberry,
- entre moi et les commerciaux sirupeux à qui je pourrais arracher la moitié de la gorge avec ma cuillère en plastique,
 Bref entre moi et le reste des imposteurs, il y a  les « transfératrices ».

Bien sûr ce n’est pas le réel intitulé du job mais je tiens à garder, par pitié pudeur pour elles un peu d’anonymat.
À la base leur emploi est tout ce qu’il y a de plus indispensable. Elles sont le tampon humain entre la production et la marque, elles organisent le planning à tous les niveaux et s’échinent à le faire respecter, partent à la chasse aux infos et essuient les mails d’insultes des clients autant que les nôtres. Un atout majeur pour la bonne marche d’une campagne publicitaire sans ulcère (hormis pour elles).
Du moins en théorie.

En réalité, pour elles qui végètent depuis des années dans la boîte (elles ont la plus forte moyenne d’âge de toute l’agence), combiner tous ces lourds projets revient souvent à transférer les mails qu’elles ne lisent même pas.  D’où le surnom «  les transfératrices ». Des vraies tenniswomen de bureau, elles renvoient la balle avec force et détermination sur qui veut bien la prendre.

Chez nous elles sont une dizaine, une armée de femmes aussi nerveuses que blasées qui cherchent  à en savoir le moins possible pour en faire le moins possible.
Si tu commences à parler technique, c’est la cata. Autant raconter la physique quantique à une poule, tu auras plus de succès.

Leur but : te faire faire le boulot à leur place pour mieux se concentrer sur leur nouveau régime hyper protéiné et laxatif (elles fondent et regrossissent au gré des modes diététiques et des saisons).

Leur passion : Les exemplaires de  justification que nous recevons des magazines qui publient nos annonces. Mettre cinq « closer » sur mon bureau engendre un spectacle plus terrifiant que de jeter un morceau de steak haché dans un aquarium de piranhas affamés. J’ai failli perdre un doigt la dernière fois que je leur ai apporté un « Be ».

Collègue Hysterella est la plus ancienne et la plus redoutable « transfératrice », un vrai cador de l’imposture, un maître en la matière.
Pendant deux ans, elle m’a terrorisée.
Cette femme est hystérique, lunatique ET  folle à lier, c’est de loin le mélange  qui m’angoisse le plus au monde. Elle alterne les phases de hurlements de chienne écrasée avec les roucoulades d’une vieille perruche dépendante au tabac.
Elle passe au dégoût le plus tenace pour la vulgarité de « mon look de punkette »  à l’admiration totale pour mon  « visage de Madone » (je cite).
Un jour elle m’appelle par mon nom de famille uniquement et avec moins de sympathie qu’elle en aurait en interpellant Hitler, le lendemain elle me surnomme «  ma chérie ».

Il faut ajouter à ça quelques particularités qui renforcent le côté inquiétant de son personnage :

-           elle ne se voit pas : cinquante ans bien marqués par l’absorption d’alcools forts, une forte ressemblance avec  Cruella,  elle est pourtant sûre et certaine d’être gracieuse et fraîche comme une nymphette de vingt ans. Et vas-y que je te secoue l’arrière-train, vas-y que je minaude devant les stagiaires qui la regardent avec autant d’horreur que si leur grand-mère leur avait proposé une gâterie.

-          elle ne s’entend pas : elle ne peut s’empêcher de ponctuer toutes ses phrases (toujours hurlées)  par un éclat de rire tonitruant. Elle avale une grande goulée d’air, bascule ses boucles noires en arrière, bombe le torse et explose dans  un énorme « HAHAHAHA » alors même que personne n’esquisse  le moindre sourire.

-          elle ne t’écoute pas : elle est tellement absorbée dans sa propre contemplation qu’elle en oublie d’écouter les autres et répond à chaque question par « heiiiin ? ».
Au début je répétais, aujourd’hui je me contente d’attendre qu’elle recommence à crier.

-          elle ne sait pas écrire : Les commerciaux ont même décidé que chaque mail qu’elle enverrait aux clients devrait passer par eux pour correction car ses messages sont aussi clairs que de l’eau de vaisselle sale et autant bourrés de fautes que mes articles avant correction.

Travailler avec elle est moins agréable que d’avaler une tasse de clous rouillés. J’ai appris à mes dépens que plus elle criait fort, plus elle avait fait une erreur grave et qu’il fallait brailler plus fort qu’elle.
Elle brame, terrorise puis mets la faute sur celui ou celle qui se pisse dessus. « Plus c’est gros, plus ça passe » est sa devise. Elle peut aller jusqu’à te faire admettre que c’est toi qui as fait la faute dans SON mail alors même que vous l’avez tous sous les yeux avec son nom juste en dessous.

Pendant des mois elle m’a écrasé la gueule à coup de talons au point que je n’en dormais plus, il était de notoriété publique qu’elle me détestait autant que je l’abhorrais.
Elle hurlait à qui voulait l’entendre que j’étais une sous-stagiaire nulle embauchée sur un coup de tête de mon chef (ce qui n’est pas complètement faux si ce n’est que je suis capable d’être compétente quand ça me chante (mais ça me chante jamais)).

Tout le monde m’a  dit : « Elle est comme ça, il faut s’y faire ». Facile à dire quand ce n’est pas sur vous qu’on gueule.
Et puis j’ai décidé que ça suffisait, que servir de paillasson à une veille salope à manteaux en dalmatien et robes en léopard ne sied pas à mon teint. Je ne le ferais qu’avec ma maquerelle le jour où je deviendrais une VRAIE prostituée. Avec le salaire qui va avec.
En attendant, je n’allais plus me laisser marcher sur les pieds.

J’ai profité d’une crise d’hystérie de cette Cruella de la publicité pour lui dire ma façon de penser et finir par un retentissant « Allez ça suffit maintenant, tu files dans ta chambre » tout à fait humiliant. Les autres ont poussé un « Oh » de surprise  et ont regardé le sang qu’il pensait voir apparaître sur ma face après m’être pris l’ultime coup de griffe de cette vieille chatte mal léchée. Il n’en fut rien. Elle a reculé, vaincue.
Elle fait, en effet, partie de ces gens qui ne vous respectent qu’après avoir goûté du fiel que vous leur crachez au visage.  Elle a léché avec délectation chaque goutte de mon mépris et de ma colère et depuis je suis sa meilleure copine. Je lui prête des livres et elle me fout une paix royale. Le grand amour quoi.
Malheureusement ce n’est jamais arrivé aux oreilles de nos collègues qui pensent encore qu’entre nous, c’est  la guerre civile.

J’ai reçu dans ma boîte mail un message dont le titre était «  Yummy », de la part d’un gentil cabotin de la création qui pense que ma  méchanceté notoire n’est qu’humour et que nous sommes copains. Je le laisse croire, il est bon colporteur de ragots.
Je n’ai pas été déçue du voyage.

Il n’y a pas de texte, juste un jpeg.
J’ouvre la pièce jointe sans me méfier, imaginant une blague potache qu’il me faudra envoyer à 15 contacts sous peine de mourir du cancer du choléra dans les 24 heures.

Je fais défiler le visuel, la mâchoire inférieure au niveau du bureau, les yeux révulsés prêts à se déloger des orbites.
Sous mes yeux, une femme aux chairs mi-flasques, mi-cramées par les U.V. se pavane devant l’objectif de manière obscène, en lingerie blanche (grisâtre, certainement sa seule parure de marque qu’elle ressortait à chaque troussage) et sans culotte.

Dans le fond de la photo, une armoire normande, un poster (poster pas TABLEAU) de Picasso, des bibelots et de la verroterie, au mur une tapisserie jaune coquille et par terre un  tapis persan. Le bon goût à la française des années 80.

Et sur la carpette aux milles couleurs usées et trop souvent aspirée, se tenait la femme, pattes écartées, pour montrer au monde entier son heu… « moi  profond » : Un entrelacs de chairs roses abjectes à peine dissimulées sous une touffe de poils noirs.

La femme a, sur toutes les photos, un sourire aux lèvres, comme s’il était parfaitement normal de se faire faire un frottis avec un appareil jetable. Elle regarde l’objectif  bien en face, elle a l’air prête à partir dans un grand rire tonitruant…. Un rire que j’entends d’ici, un rire que je connais, un rire sardonique à la Cruella, un rire hystérique…
Collègue Hysterella.
Sur la photo… c’est collègue Hysterella.
Mouvement d’horreur et recherche de mon amie Pamela qui malheureusement s’était permis à ce moment-là une quatrième pozclope de la matinée.


Ne me demandez pas comment notre collègue a pu se procurer de telles horreurs, j’ai pensé qu’il avait lui-même fait le montage. Mais étude faite, il semblerait que rien ne soit faux.
Il pensait « bien faire », nourrir ma vengeance en me donnant de quoi humilier mon ennemie jurée.
En réalité, une telle vision charcutière sur ma rétine alors même que je la croise tous les jours est une torture, c’est moi qui suis punie !

Je me rends compte qu'après avoir suscité terreur puis indifférence en moi, elle m'inspire maintenant beaucoup de pitié.
Bien sûr, j’ai effacé ces photos et n’ai jamais fait tourner aux autres pour la simple et bonne raison que, j’ai beau la détester, elle fait ce qu’elle veut de son cul (mou). Je n’ai pas envie de rentrer dans le jeu, c’est puéril … et franchement dégueulasse à voir.
Le téléphone arabe et le tapis persan ne passeront pas par moi pour continuer leur course folle dans toute l’agence.

Alors, pourquoi je vous en parle ?
Parce que j’ai besoin d’exorciser.
Blurp.


5 commentaires:

  1. Sacré vision d'horreur que tu as eu là... Et tu la décris si bien que j'en ai rendu mon pépito du matin... Le clavier colle un peu de l'alcool que j'ai ingurgité hier soir... Merci Mlle O... ça reste avant tout du bonheur, surtout le, je cite: "Autant raconter la physique quantique à une poule, tu auras plus de succès." qui m'a fait faire sous moi tellemnt j'ai ri...

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  2. Allez, tes flaques de pipi et tes louanges te font gagner le droit de gouter a mes merveilles gastronomiques.
    Voit avec K. quand vous pouvez être libre. Je vous reçois dans mon humble demeure.
    tu bosseras un peu sur ma déco par la même occasion.

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  3. Huhu.. Maligne! J evois que c'est interressé... Je textote le bon et grand K et te tiens au courant par texto itou!

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  4. Jusqu'au Yummy, je connais tout par coeur. A l'exception que j'ai un petit modèle, rond, court sur pattes (ou jambonneaux). J'ai gueulé aussi. Après un an de boite. J'attends la prochaine salve (ca fera un an tout pile ce mois ci, ca devrait pas tarder...). Mais je suis sidérée de cet email! J'aurai pu m'imaginer une annonce sur un site de rencontre. Mais là, je comprends ta répugnance. Exorcicer était inévitable.

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  5. J'ai tenté de parler physique quantique à ds poulettes: en effet ça marche pas.

    Jusqu'à aujourd'hui, je regrettais de ne pas recevoir de mails nuls des collègues que je n'ai pas. Ben ça m'a passé...

    En tout cas bien joué pour l'avoir dressé, on se doute pas que ça pourrait marcher. Y'a deux mois j'ai fait ça avec mon boss, en fait c'est une vraie victime, ça fait bizarre.

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