vendredi 22 avril 2011

Une nouvelle définition de la glande

Quand on a un boulot en période de crise dans une agence de publicité moribonde, on doit apprendre à avoir les nerfs solides. Très solides. Du béton.
On se pose beaucoup de questions sur l’intérêt de notre job, sur celui de se lever le matin, de rester assise là toute la journée à faire de la diplomatie. On s’interroge sur  notre  valeur ajoutée au sein de l’ « équipe », on doute de l’intérêt même de notre poste. 
Chaque jour revient cette phrase gênante comme un chewing-gum sous la chaussure : suis-je comme les autres, suis-je à ma place, suis-je normale ?

Pour ménager notre estomac  fragilisé par les acides déversés et retarder l’ulcère qui nous guette plus encore qu’une grossesse involontaire, ma collègue Pamela et moi-même pratiquons la pause comme on pratique une réunion aux alcooliques anonymes.


Ma collègue en question ne s’appelle pas Pamela, mais je préserve son anonymat. Ce surnom lui a été attribué comme une ode à  son physique avantageux de superbe non - blonde à poitrine non-titanesque et à la bouche non-mouillée de gloss.

Je ne peux dire d’elle que deux choses sans la trahir :
- N’en déplaise à ceux qui pensent que les brindilles sont anorexiques, elle mange chaque jour son poids en beurre sans prendre un gramme.
- Ses maladies sont toujours rares, graves et complètement ahurissantes. Qui peut, en moins de six mois, enchaîner une rupture de l’aponévrose (mot compte triple), des craquements dans la mâchoire et les oreilles après s’être pris un mat de bateau dans la tête et un champignon dans l’estomac ? Pamela PEUT le faire.

Pamela est Ma chose. Ma création.
Un jour où je n’en pouvais plus de me sentir si seule et si différente des autres, un jour où j’avais plus que jamais besoin de déverser le trop plein d’acide à la face d’un quelconque commercial sosie de Ken,  j’ai débarqué dans le bureau de ce qui sera plus tard le chef de Pamela et j’ai dit :
- Ca suffit les blaireaux de trente balais qui jouent à WOW en mangeant des sandwiches au pâté et qui calculent la taille moyenne de mes jupes sur un an. Je veux une collègue, une FEMELLE.
Tu vas embaucher une retoucheuse et pas un retoucheur.  Prend une fille de mon âge, drôle, intelligente et qui ne porte pas de jean boy-friend ni de Converse et qui déteste les IPhone.
- C’est pas évident, déjà que je galère pour trouver un bon retoucheur, j’ai passé au moins vingt tests. J’ai bien quelqu’un remarque…
- Elle à l’air de quoi ?
- D’une gouine.
- Parfait.  On l’embauche.

Quand elle a débarqué, je me suis jetée sur elle en disant : «  toi tu seras ma copine de pause » et je lui ai caressé la tête en la dévisageant avec un regard fou.  Elle a hésité à m’écraser sa clope dans l’œil et puis finalement elle a rigolé. Ainsi sont nées les « pozclopes » en duo.  
Moments merveilleux, où la truffe au vent, nous faisons le pied de grue devant l’agence en évitant de croiser le regard de nos collègues à mèche et Converse, en se racontant nos techniques de meurtres de collègue Judas et les derniers coups de crasse qu’on lui a faits. Tant qu’à être perdues, autant faire le chemin ensemble en pavant de mauvaises intentions celui de ceux que l’on déteste.

Pamela fume suffisamment pour mourir avant trente ans et enchaîne souvent deux voire trois clopes sans reprendre sa respiration. Alors on prolonge d’une minute, de deux minutes, de  cinq minutes nos sorties, pour atteindre des records de 45 minutes de pozclopes dès la mi-juin. Chez nous la pause est une religion, un art, un travail à plein-temps. Peut-être avions nous trouvé là une vraie place ? Nous imaginions l’annonce parfaite.
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Nous recherchons Pozclopeur/euses en l’agence.
Vous êtes jeunes, désabusés, perdu dans le monde de l’entreprise et vous n’avez pas peur du cancer du poumon. Vous pouvez rester des heures le cendrier à la main. Vous buvez énormément de café nespresso sexy et lisez métro et 20minutes.
Aucun diplôme requis mais une solide connaissance de l’industrie du tabac. Salaire selon expérience en désinvolture et rapidité de sortie de briquet et d’allumage de cigarettes.
Poste à pourvoir dès 10h du matin.
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Nous on trouvait ça très bien comme idée. Pas notre chef.

Un jour il a débarqué dans le patio  ou nous végétions gentiment, tremblotant de rage du double menton et nous a convoquées dans son bureau :
- Vos pauses sont trop longues, c’est une honte. Collègue Judas On m’a dit que ça faisait vingt-trois minutes que vous étiez partie.
- Mais on n’a pas de boulot.
- Et bien ça n’empêche, il faut respecter ceux qui bossent.
- Personne ne bosse. A et B font des concours de Packman et de démineur, les garçons regardent le foot sur internet, C et D font des mots croisés, E envoient des textos à ses filles pour les engueuler. C’est juste qu’ils se cachent tous dès que tu arrives.
- Et benh faites comme eux.
- Ca n’a pas de sens.
- Ah bon merde je passe pour un con là…  Si, il faut faire croire à nos clients que nous sommes occupés et réactifs,  c’est ce qu’on appelle de la « qualité perçue ».
- Donc on peut glander du moment qu’on à l’air concentré ? C’est un peu comme se badigeonner de parfum quand on ne s’est pas lavé depuis trois semaines. C’est de « l’hygiène corporelle perçue ». C’est une imposture à temps plein en fait ?
-  Hum… c’est ça.

Voila comment nous sommes passées de chef de fabrication et retoucheuse à Imposteuses en Agence. Depuis nous sommes des employées modèles.

2 commentaires:

  1. J'aurais été qualifiée pour le poste de pozclopeuse, mais j'ai arrêté de fumer. Dommage, je vous aurai montré mes talents de dégaineuse de briquet, ils sont assez impressionnants.

    J'aime bien le concept de la "qualité perçue", je postulerai bien pour un poste d'imposteuse en agence. Dommage, sur le site du Pôle Emploi y a aucune offre.

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  2. Désolé, j'ai arrêté... peux pas venir glander avec vous !!!
    Par chance je suis fonctionnaire...

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