Il y a deux
malédictions récurrentes dans mon existence.
1/ Je suis
l’ange de la mort des agences de pub.
Dans
n’importe quelle entreprise où je passe, l’emploi trépasse. Je suis une sorte
de mauvais ange envoyé par Pôlemploi pour faire mourir les agences de comm’. Le
jour où tu me vois débarquer dans ta boîte, mets ton CV à jour, je t’en
conjure.
Le CDI, pour
moi, n’est qu’un CDD sans date de fin et sans le montant des indemnités.
La dame du
pôle emploi connaît le prénom de mon chat et fait de la musculation avec mon
dossier, je récite mon CV les mains jointes dans le dos comme on récite
« le lièvre et la tortue » ou « le car scolaire et le
pédophile », et je remplis une armoire BESTÅ BURS Ikea avec mes attestations
assédics.
2/ Je croise
TOUJOURS des gens de manière fortuite dans la rue, le métro, les bars, les
chiottes, les villes de l’autre bout de la France et ce, plusieurs fois
par mois, voire par semaine dans mes grandes périodes.
Paris est-il
si petit ? Ou suis-je fluo ?
En tout cas,
il y a toujours ce moment tragique où je farfouille profondément dans ma narine
ou que je gratouille un bouton sur mon front et où j’entends mon prénom suivi
d’un point d’interrogation.
- Ocytocine ?
- Nan connard, c’est ta mère en bottes de
cowboy.
Comme si
c’était étonnant de me voir dans le métro… Admettons que c’est parce que j’ai
le doigt dans le nez ou le front sanguinolant d’avoir trop bien arraché la
protubérance acnéique.
Bon en fait
je ne dis pas ça, hein… Je tourne juste la tête, immanquablement dans le
mauvais sens, et je dis « gné ? ».
N’oublions pas que je suis myope comme un geek. Ça rend le moment encore
plus pénible, surtout si on m’alpague du quai d’en face.
Évidemment,
ça ne m’arrive jamais quand je suis à mon avantage… Je suis toujours seule,
avec un livre, les cheveux fraîchement pas lavés ni coiffés et une mine
avenante de pitbull à qui on vient de retirer sa gamelle de croquettes de
nourrissons éviscérés.
Et ce n’est
jamais un bel éphèbe que je croise (tu me diras : heureusement. Je n’ai
pas à rougir de porter un jogging trop grand de deux tailles et des running
violettes, comme ça).
Parfois
c’est un ex. Toujours avec sa meuf. À croire qu’ils les sortent pisser deux
fois par jour. Personnellement j’étais capable d’assurer ma miction seule
(c’est pour ça que tu me rappelles tout le temps mec ?).
Étonnamment,
je suis toujours irrémédiablement cuite quand je les croise et j’ai une face
hilare qui doit leur faire croire que je suis ravie de les voir.
En fait nan.
Ça me donne envie de pisser.
Ou alors
c’est la bière ?
Le plus
souvent, je rencontre des connaissances de connaissances, ou d’anciens
camarades de classe dont je suis bien incapable de me souvenir du prénom. Alors
t’imagines quand il faut songer à ce qu’on pourrait avoir à se raconter…
- Tu te souviens Madame Martin ?
- Non.
- Moi non plus.
(Plus que
quelques secondes avant la prochaine station. Je saute du train, j’m’en fous).
Soit je
croise… Le Vampire. Le Vampire, c’est
dans la catégorie connaissance de connaissance et j’ai l’ineffable malheur
d’être sa voisine.
Le Vampire,
comme son nom l’indique, a un teint de fond de baignoire, un sourire fixe et un
regard que je qualifierai de presque concupiscent… mais je pense qu’il n’est
pas pourvu d’assez de sang pour porter les hormones masculines lui permettant
la lubricité.
Le Vampire
serait reconnaissable entre mille si seulement j’avais d’assez bons yeux pour
le voir arriver : il a en effet le syndrome dit « du bâton dans le
fondement », chaque vertèbre de sa colonne semble soudée à celle du
dessus, c’est assez perturbant.
Et surtout,
Le Vampire n’a rien à raconter. Normal quand on passe ses nuits à se
non-branler et ses journées à se cacher du soleil.
Du coup,
quand je le croise, je suis à la torture. Et c’est souvent le matin où déjà, de
base, je ne taperais même pas la discute avec mon âme-sœur.
Une fois,
j’ai même voulu écourter le trajet en sa compagnie et j’ai dit « je
descends à la prochaine », et il a répondu « moi aussi ».
J’ai dû
faire semblant de sortir du métro et le reprendre 5 minutes plus tard par une
autre entrée, et arriver en retard avec pour seule excuse : j’ai
« failé » en essayant de me débarrasser d’un type ni vraiment vivant
ni vraiment mort.
Ouais, les
fées au-dessus de mon berceau ont dû voter pour ces emmerdes-là. La dernière
était dermatologue à ses heures perdues et a décidé que je passerais ma vie à
suinter chez ses consœurs.
Tu ne vois
pas où je veux en venir avec mes histoires ? Calme-toi jeune brigand, j’y
viens. On dirait un adolescent qui découvre pour la première fois qu’il peut
dessiner des soleils avec sa peinture intime (poésie de la coquillette tu es de
retour…).
Ces deux
malédictions mes enfants… et c’est un peu la crotte de nez qui fait déborder le
mouchoir (PO-É-SIE)… Là où je veux en venir, c’est que pour la première fois de
ma courte mais indéniablement mitigée existence, j’ai tapé un hit-combo de mes
deux malédictions.
Si tu te
souviens de mes dernières aventures dans le monde du travail, j’avais alors une
chef surnommée ’Le Scanner’, sorte de mère-poule avec un troisième œil à qui on
ne la faisait pas.
Pas même le
PDG qui, incapable de la dompter, a mis au-dessus d’elle dans l’organigramme
une nouvelle responsable avec un physique de haricot vert avarié (tant au
niveau de la silhouette que du teint), et un nom de poste à coucher dehors.
Son but
ultime, hormis d’écouter de la musique et regarder des vidéos sur Youtube (pour
le modique salaire de 4 000 boules par mois), était de surveiller et faire
virer Le Scanner. Oh le beau métier.
Personnellement,
je préfère encore aller nettoyer les chiottes des stations-service avec ma
langue, mais tout le monde n’a pas les mêmes problèmes pour se regarder dans
une glace.
Et ma foi…
Quand on cherche on trouve. Le Scanner a été virée peu avant la fin de mon
contrat.
Autant te
dire qu’on a fêté ça dignement en se bourrant proprement la gueule au bar du
coin. J’ai ensuite titubé jusqu’au métro et appeler ma Sacro-Sainte mère, Frau
Ocytocine, pour lui raconter.
J’étais donc
dans le métro avec plus de vin blanc que de sang dans les veines.
Tu imagines
le volume outrageusement fort auquel je pensais devoir m’astreindre pour me
faire entendre de ma mère, et en conséquent par tout le wagon.
Après dix
bonnes minutes à pérorer en racontant comment j’allais leur dire d’aller se
faire foutre à tous quand ils allaient me demander de rester plus longtemps
(chose que PERSONNE ne fait JAMAIS une fois devant le fait accompli), je me
suis mise à cracher sur le vilain haricot embauché dans l’unique but de nuire
et j’ai dit texto : « Le Haricot , elle ferait mieux d’aller se
faire baiser par son père pour régler son complexe œdipien… ».
J’aurais pas
pu me contenter d’un « sale conne », naaaaaaaaaan. Trop facile. Pas assez
fleuri.
Tu me
connais, j’aime bien quand c’est imagé.
Et c’est
seulement APRÈS avoir dit ça que je me suis rendue compte que dans l’ensemble
j’étais pas la meuf la plus « chatteuse » du monde et qu’un peu de
discrétion n’allait pas me tuer.
Donc j’ai eu
la bonne idée de me tourner.
Pour voir
qu’elle était derrière moi.
Ma
supérieure hiérarchique à qui je venais de conseiller de se faire fourrer par
son papa était derrière moi.
T’imagines
que l’ambiance au travail c’était un peu aussi chaleureux que ton congélateur
après ça, et qu’on ne m’a jamais proposé de prolonger mon contrat.
Non, ça
n’explique pas mon absence. Mais tu avoueras que ça y contribue.